Image n «C'est comme au far west, il y avait des cactus par le passé, aujourd'hui c'est l'autoroute.» Djaffar se dresse, planté au milieu d'un décor aride devant son grand camion Iveco. Devant lui, un désert blanc s'étend jusqu'à l'horizon. Il semble être écrasé sous le poids d'une touffeur moite. Ce Kabyle, avec les photos de Massinissa et de Farid, ses deux rejetons, collées au fond de son tableau de bord, voit le soleil effacer toute trace d'ombre. Il s'accroche au peu d'ombre qui existe derrière l'engin et ferme ses paupières pour chasser la sueur acide. Dans «son» monde, loin des Ouadhias de ses parents, les petites rafales de vent effritent le sol et rendent l'air irrespirable. «C'est comme au far west, il y avait des cactus par le passé, aujourd'hui c'est l'autoroute», nous dit-il, les bras croisés, lui, qui a bien mérité un peu de répit après des incessants allers-retours jusqu'à Hoceinia, le point de chute du tronçon qui commence à Oued Djer. Ici, l'autoroute sera réalisée au prix de la monotonie et surtout de la répétition. Répétition des mêmes gestes, les matinées et les après-midi, avec des têtes enveloppées de labeur et courbées devant des montagnes qu'ils avaient pourtant domptées. Mais lorsqu'il parle de ce qu'il a réalisé en compagnie des autres, Djaffar a le sourire jusqu'aux oreilles. «un jour, j'emprunterai cette autoroute avec mes deux fils et je leur raconterai un tas d'histoires dans la voiture», dira-t-il en riant. Les gens qu'il a côtoyés depuis le lancement du chantier n'ont pas, eux non plus, perdu le sourire. Ils semblent être fiers d'avoir défié, avec leurs tiges d'acier, montagnes et rivières, bravé chaleur et pluie pour être au rendez-vous du «chantier du siècle» et dans la mesure du possible, même submergés par la sueur, ils s'obstinent à résister et à rugir comme des lions devant les montagnes. Durant l'heure de repos, Djaffar et ses collègues cassent la croûte ensemble au milieu d'emballages froissés dans une bicoque où le son du ventilateur est si puissant qu'on a dû augmenter les décibels de la radio pour écouter les infos du jour. «Aya Bessmellah…», a été une invitation si chaleureuse qu'on ne pouvait pas la repousser même rassasié. Une salade bien assaisonnée, des spaghettis à la sauce rouge avec des petits bouts de viande constituent le plat du jour. Dans un chantier, sous un soleil de feu, même un rien, on le partage. Il fallait ensuite vite enchaîner pour arriver à la cigarette où la chique qu'on garde au fond des bottes et qui font office de dessert, avant de reprendre… l'autoroute qui n'en finit pas.