Un ouvrier vivait avec sa femme et ses enfants comme locataire dans un appartement en ville. Il gagnait sa vie difficilement n'étant pas très assidu au travail et n'arrivait jamais à payer son loyer ponctuellement. Le propriétaire, lassé de faire des démarches pour obtenir des paiements toujours en retard, finit par se mettre en colère et lui dire : «Si demain le loyer de l'appartement n'est pas à jour, je t'expulserai ainsi que ta famille et mettrai vos meubles dehors !» Notre homme qui n'avait pas sou-qui-vaille, tourna longuement dans la localité à la recherche d'un autre appartement. Les propriétaires se montraient peu amateurs d'un pareil locataire. Alors il se dirigea vers la campagne environnante et finit par considérer une maison bien construite, fort correcte, entourée d'un jardin, mais qui était toujours vide parce qu'elle avait la réputation d'une maison hantée. Il y amena sa femme qui examina les lieux et dit : «C'est bon ! Cette construction est vaste. Je me contenterai du rez-de-chaussée. Apporte-moi un balai, une brosse, un seau de chaux. Je vais la nettoyer et la blanchir.» Ce travail fait, elle élagua les ronces du jardin, alluma avec ces épines un feu sur son kanoun, brûla de l'encens et salua les djinns gardiens de ces lieux : «Ia açahab ed-dar...» (Salut, compagnons de la maison !) Ainsi rassurée, à la tombée de la nuit, elle installa les nattes de ses enfants et se coucha auprès d'eux. Mais, elle attendit, en vain, son mari. A minuit, elle entendit une voix émanant du 1er étage par une échancrure du plafond qui demandait : «Ntih ?... Puis-je tomber ?» La voix questionna à trois reprises différentes. A la troisième fois, la femme répondit : «Tombe si tu veux...» Une tête ensanglantée de jeune homme roula alors jusqu'à terre. La femme s'approcha, pleine de pitié : «Le pauvre ! Il a été assassiné...» Elle n'avait qu'un drap. Elle le coupa en deux, en laissa la moitié pour elle et étendit l'autre moitié à terre. Elle posa dessus avec respect cette tête et plia l'étoffe pour la recouvrir. De nouveau, la voix se fit entendre au plafond : «Ntih ?... Puis-je tomber ?...» Comme précédemment, la question fut répétée trois fois. A la troisième, la femme répondit : «Tombe si tu veux...» Et du plafond, un bras ensanglanté tomba sur le plancher. La femme le posa avec déférence à côté de la tête. C'était le bras droit. De la fente du plafond, la voix reprit sa question. Cette fois, ce fut le bras gauche qui tomba. La femme le disposa de l'autre côté de la tête. Mais, la moitié du drap ne suffisait plus. Elle prit alors la seconde moitié qu'elle avait réservée pour elle, et la posa sur l'ensemble de la tête et des bras. La voix appela de nouveau. Ainsi furent balancés dans le vide la jambe droite, la jambe gauche et le torse. A chaque fois, la femme entendait les trois appels, autorisait les envois, puis reconstituait à terre l'ensemble du corps du malheureux jeune homme. Elle était bouleversée : «Mon Dieu ! Que les gens sont méchants ! Avoir tué un homme si jeune et si beau !...» Elle recouvrit pieusement l'ensemble du corps ainsi recomposé, membre par membre. Et voici que le rez-de-chaussée fut envahi par une foule de femmes portant au front le bandeau noir de deuil et drapées dans un grand voile blanc. (à suivre...)