Spécificité n Les enfants des villages kabyles donnent un autre sens aux vacances scolaires, celui du plaisir conjugué avec le gain d'argent. Les activités dépendent des «atouts naturels» de chaque village. Si les enfants habitant près des oueds s'activent à tamiser le sable pour le vendre, les autres optent pour la chasse aux grives et la vente d'objets usés en caoutchouc et en carton. La crise économique qui frappe la région, depuis quelques années, a contraint tous les membres de la famille à conjuguer leurs efforts pour subvenir à différents besoins. Aux villages d'Aït Yahia Moussa et Zerrouda, une course folle est engagée entre jeunes et moins jeunes et chacun veut «arriver avant l'autre» à l'oued. Leurs tamis et pelles cachés quelque part dans la forêt avoisinante, les enfants de ces deux villages pauvres se lèvent tôt, très tôt et entament leurs «fonctions» avec une ardeur sans égal. «Nous gagnons des sommes importantes d'argent qui nous permettent de faire face aux dépenses quotidiennes de la famille, mais aussi d'acheter nos fournitures scolaires. Ici, chacun doit se débrouiller car le fardeau est devenu trop lourd pour les parents», nous disent Rabah et Kamel, deux frères lycéens, âgés respectivement de 18 et 16 ans. Ces deux jeunes habitent pourtant loin de l'oued de Zerrouda, ils parcourent plus de quatre kilomètres pour y arriver. Les oueds sont pris d'assaut par des jeunes de tous âges. «A dix heures, il n'y a rien à faire. Tous les coins riches en sable sont déjà occupés, alors nous devons y venir trop tôt», affirment d'autres «travailleurs» du village Aït Yahia Moussa. Evoquer la dernière mesure prise par le gouvernement relative à l'interdiction d'extraction de sable des oueds ne signifie rien aux yeux de ces jeunes. «Qu'on donne des salaires décents à nos parents et des emplois permanents à nos frères et là nous allons respecter la loi. Sinon, rien ne peut nous empêcher de gagner notre vie», disent-ils à l'unanimité. Et les vacances ? Ces jeunes estiment qu'elles sont tout simplement synonymes d'«échappatoire» leur permettant de changer d'activité. Pour eux, le repos ne signifie rien. Dans d'autres villages «dépourvus de sable», les écoliers chassent les grives, un vieux «métier» en Kabylie. Les pièges sont préparés et tendus au coucher du soleil. Ils sont surveillés de loin par ces jeunes et ce jusqu'à la tombée de la nuit. Le lendemain, tôt le matin et défiant le froid glacial, les chasseurs reprennent la garde, avant de passer à la quête. «Cette année, la récolte est beaucoup plus importante que les années précédentes. J'ai une trentaine de pièges et je capture une moyenne de vingt grives par jour», indique un jeune lycéen rencontré à Aït-Mendès (Boghni) en train d'exposer «sa marchandise» aux automobilistes. «A 30 DA la grive, je gagne quand même quelques sous pour la rentrée», témoigne-t-il. La grive est trop demandée notamment par les vieux, ce qui arrange les affaires de ces élèves. La chasse ne se limite pas aux grives, mais parfois ces jeunes trouvent de grandes surprises prises à leurs pièges ; des perdrix qui sont beaucoup plus chères que les grives. Bravant tous les dangers, ces enfants tiennent également à leurs études qu'ils ne comptent pas laisser tomber à les croire. «La misère forme les hommes.» Ce proverbe kabyle vient immédiatement dans la bouche de ces enfants des villages dépourvus qui donnent l'exemple de leurs ancêtres, grands frères, oncles… qui ont réussi en dépit de toutes les entraves.