Camille Flammarion (1842-1925), le frère du célèbre éditeur, avait une passion pour l'astronomie, dont il fut l'un des grands vulgarisateurs. Bien des astronomes d'aujourd'hui doivent leur vocation à la lecture de ses ouvrages, l'Astronomie populaire en particulier, dont les couvertures faisaient penser aux belles éditions de Jules Verne. Toujours est-il qu'une des œuvres de Flammarion, si elle était passée en vente publique, aurait donné le frisson au commissaire-priseur, au crieur, aux commissionnaires qui sont pourtant de rudes Savoyards, et même à l'acquéreur. Flammarion, qui était assez bel homme malgré sa petite taille, avait fait des ravages dans certains cœurs féminins. Il ne possédait aucun diplôme, et avait commencé à travailler dès l'âge de quatorze ans. A partir de vingt ans, il écrivait deux ouvrages de vulgarisation par an, faisait des tournées de conférences, posait pour des publicités de whisky américain. D'autre part, il employait une ribambelle d'astronomes au chômage, qui faisaient des observations à sa place. Il était extrêmement populaire et savait, avec sa barbe de prophète, soigner son image de marque, qu'il voulait être celle d'un «génie universel». Cela lui laissait du temps pour proposer une réforme du calendrier, ou s'intéresser à un projet de colonisation de la planète Mars. communiquait avec les morts, fréquentait la reine d'Espagne et celle de Roumanie. Une de ses belles amoureuses était tuberculeuse et savait ses jours comptés. Elle lui écrivit en substance : «Mon cher ami, je sais que je n'ai plus longtemps à vivre. Bientôt je ne serai plus de ce monde et j'irai, je l'espère, rejoindre l'univers des étoiles qui vous fascine... » Enfin la lettre disait : «J'ai donné des ordres pour qu'on vous fasse parvenir un legs de ma part. Quand je serai morte, je vous supplie de l'accepter en souvenir de moi et d'en faire ce que je vous demanderai, car des instructions seront jointes à l'envoi...». Ce pauvre Flammarion dut se demander ce qu'elle voulait dire. Mais la lettre ne précisait rien de plus. Les mois ont passé... la dame, encore jeune, est partie pour l'au-delà. Quelques mois plus tard Flammarion reçut, par la poste, le legs promis, accompagné d'une lettre d'un médecin qui disait : «J'accomplis ici le vœu d'une morte qui vous a étrangement aimé. Elle m'a fait jurer de vous faire parvenir, après sa mort, la peau de ses belles épaules que vous avez si fort admirées... ‘'le soir des adieux'', a-t-elle précisé. Son désir est que vous fassiez relier, dans cette peau, le premier exemplaire du premier ouvrage de vous qui sera publié après sa mort. Je vous transmets cette relique, comme je l'ai juré.» Pour respecter les dernières volontés de son amie, Flammarion fit ce qu'elle demandait. Il s'agissait d'une jeune comtesse slave et phtisique, qui l'avait invité à séjourner chez elle, dans le Jura. Il fallut, paraît-il, trois mois à un tanneur pour transformer la peau en un parchemin superbe, qui servit à relier Terres du ciel. Camille Flammarion disait qu'en touchant cette reliure, il ressentait comme une sorte de «fluide électrique»... Mais Camille Flammarion avait l'habitude des hommages extraordinaires : il reçut un jour d'un admirateur – bien vivant, celui-ci – le legs d'une vaste propriété dans la région parisienne. Cette propriété de Juvisy, dûment acceptée, appartient toujours à la famille. Et l'on raconte que la «reliure en peau de dame se trouve sur les rayons de la bibliothèque». (à suivre...)