Changement n En Oranie, le ramadan ne ressemble en rien au mois de piété qu'on a connu durant les années cinquante, soixante et même soixante-dix. Cela se vérifie aisément au niveau des grandes villes de la région, telles que Mostaganem, Tlemcen, Sidi Bel Abbes, Relizane, Tiaret, Saïda et Aïn Témouchent. Un exode rural débridé, très peu contrôlé et pour tout dire anarchique, l'urbanisation ratée de populations rurales, l'absence de repères communs aux deux populations d'une même cité et difficilement intégrées l'une à l'autre ont fini par casser le charme, certes désuet, mais très authentique d'un jeûne qu'on vivait autrement et dont on ne garde qu'un lointain souvenir. Finies les processions de femmes voilées de haïk blanc le soir, de maison en maison, chargées de présenter des gâteaux au miel pour leurs hôtes avec lesquelles elles papoteront toute la nuit jusqu'au s'hor. Finies les animations de quartiers qui donnaient à la ville un caractère de perpétuelle fête. A Gambetta, des troupes musicales improvisées au gré de la nuit et de l'ambiance du moment rapprochaient, dans la même ferveur, tous les jeunes de la «houma». Le centre-ville était si illuminé qu'on oubliait, par moments, qu'on marchait en pleine nuit, à quelques heures de la première prière du jour. C'est à la «ville-nouvelle», M'dina Dj'dida, que la dimension typiquement orientale de ces soirées était la plus affirmée, la plus vraie et la plus marquée. On se serait cru en plein jour. Tout était ouvert, cafés maures, marchés, bijoutiers, commerces en tout genre, magasins de friperie, même les vendeurs de mort-aux-rats et autres DDT ne chômaient pas, bien au contraire. La «tahtaha» (la place centrale du quartier) de par son site et de par sa longue histoire accueillait tous les étrangers qui se sentaient à l'évidence très à l'aise dans cet espace ultra-convivial. Au café Chahmi, ouvert d'habitude aux noceurs et aux flambeurs du petit jour, des cercles d'amis et de joyeux convives se faisaient et se défaisaient toutes les heures. A 22 heures, la salle était déjà comble. Les plateaux de café et de thé circulaient au-dessus des têtes à une vitesse folle, au milieu de cris de toutes sortes. En face, à «hammam Es'baâ», un cabas sous le bras, une dizaine de clients venus de toute la ville attendaient sagement leur tour. Il paraît que ce lieu était auréolé d'une étrange baraka. La mosquée El-Falah était illuminée de mille feux et les prières des taraouih montaient du fond de la nuit, en même temps que l'arôme des lilas, jusqu'au sommet de la voûte céleste. De la poésie et des langueurs des ramadans d'antan, il ne reste plus rien aujourd'hui, à peine la trace. Les nuits magiques de veille dans ces cités blessées, écorchées et presque occultées se passent prosaïquement entre les cybercafés, la planète Internet où l'on peut sans bouger de place «surfer» à travers tous les continents, et les feuilletons que débitent les centaines de chaînes ou encore, au bord de l'eau lorsqu'on a une voiture où tout simplement sur le front de mer, dans l'une de ces dizaines de glacières qui vous proposent les mêmes crèmes, les mêmes chocolats et les mêmes vanilles, mais emballés sous des noms différents. Une innovation, cette fois, et qui est tout à l'honneur de ses promoteurs. La corniche oranaise est consacrée, cette année, spécialement aux familles. Out le raï et ses danseuses d'un autre âge.