Résumé de la 2e partie n L'enquête sur le meurtre du jeune marabout se poursuit et les premiers soupçons se portent sur les deux frères forgeron... Après le repas, Rabah et le chef du douar entrèrent en grande conversation avec un loqueteux kabyle, qui, je l'avais vu du coin de l'œil, venait de s'approcher d'eux en catimini. Ils me regardaient, parlaient à voix basse avec animation, semblaient embarrassés. Enfin Rabah, plus audacieux, se leva et vint me dire : — La derwiche, la maraboutine Fatma, dont tu as entendu parler, désire te voir : elle doit en savoir long sur l'affaire. Va chez elle, tu en retireras profit ; c'est une sainte et l'esprit de Dieu est en elle. Je regardais le vieux cavalier un peu étonné. Parlait-il sérieusement ? Il paraissait grave, avec une pointe d'émoi, se demandant sans doute comment j'allais accepter ce curieux rendez-vous. Enfin, puisque je n'avais pas le choix des moyens à prendre pour arriver à connaître la vérité, je résolus d'aller voir cette brave femme, que je connaissais de réputation seulement. Elle passait pour sorcière, faisant des miracles : elle vivait la plupart du temps seule comme une recluse, toujours voilée à la mauresque ; puis se livrait à des escapades dans les rues, prononçant des discours excentriques, mais point séditieux. On la laissait faire, et depuis quatre ans qu'elle était revenue dans sa tribu, elle n'avait donné lieu à aucune plainte. Pour l'administration, c'était une toquée, une hallucinée sans importance, mais elle jouissait d'une énorme influence sur sa tribu et pas un des vieux à barbe grise qui menaient le village, n'aurait osé entreprendre une affaire sérieuse sans la consulter. Elle les recevait chez elle, toujours voilée, et, disait-on, ses conseils étaient empreints souvent d'une réelle sagesse ; l'avenir ne manquait jamais de confirmer ses prophéties. D'autres fois, elle fermait sa porte au nez des plus puissants et rien ne pouvait la contraindre à les écouter. Je me levai donc ; précédé du Cheik, suivi des hommes les plus vénérables, enchantés de la déférence que je montrais pour leur fétiche, je me rendis au lieu de l'entrevue. Après avoir monté quelques ruelles pierreuses et sales, nous arrivâmes près d'une porte basse, sous laquelle je dus me glisser en rampant sur mes genoux, ou à peu près. A peine fus-je dans l'intérieur de la pièce, où il faisait noir comme dans un four, que j'entendis une voix claire et impérieuse crier en kabyle : — Fermez la porte et laissez-moi seule avec le Roumi. Que tout le monde retourne à la Djemâa, et de suite ! Une ombre blanchâtre passa, rapide, à mon côté ; j'entendis le verrou de bois que l'on rabattait vivement et, à l'extérieur, le bruit de burnous s'écroulant dans la ruelle étroite et raide. Je commençais à trouver ma position assez sotte et je regrettais d'être allé si loin. «Me voilà en tête-à-tête avec une sorcière, une folle, par-dessus le marché ; Dieu seul sait les insanités que je vais entendre, sans compter que s'il lui prenait une crise, je serais bien empêché de me défendre.» Je fus sur le point de rappeler Rabah et de faire ouvrir la porte, mais la rage de mon instruction avortée me tenait au cœur. Cette femme pouvait me donner un indice précieux, m'indiquer une piste à suivre. Qui sait si les meurtriers n'étaient point venus la consulter avant le crime. Je restai donc. (à suivre...)