Résumé de la 1re partie n Le vieux spahi Rabah vient annoncer que Si Ali, un jeune marabout, a été assassiné. Une enquête est ouverte. Il ne sortit plus de là. Quant au Cheik, il était muet comme un barbeau de la Soummam. La phrase du chaouch me revint en tête et je supposai que les deux frères qu'il m'avait désignés pouvaient en effet être pour quelque chose dans le meurtre : la terreur qu'ils inspiraient paralysait sans doute les langues : il fallait les arrêter pour les délier ; je les fis donc aussitôt demander. On me répondit qu'ils étaient depuis deux jours partis pour le marché de la Smala acheter du fer, nécessaire à leur métier de forgerons et qu'ils n'étaient pas encore rentrés. «Voilà un alibi sérieux, pensais-je, s'il est bien établi ; le chaouch a dû se tromper pour cette fois.» Il n'y avait pas dix minutes que je les avais réclamés, que je vis apparaître, à l'extrémité de la rue, mes deux gredins, s'avançant paisiblement, s'épongeant le front, vêtus de leurs gandouras noires de charbon, portant sur leur dos, l'un une lourde besace, l'autre de ces petites barres d'acier carrées dont les forgerons kabyles se servent pour recharger les outils. On me les amena en hâte. D'où venaient-ils ? Qu'avaient-ils fait depuis deux jours ? Où avaient-ils passé la nuit ? Ils jetèrent à terre leurs charges avec un ouf de satisfaction et me répondirent, du ton le plus naturel du monde, qu'ils venaient du marché du mercredi de la Smala, faire leurs emplettes, qu'ils s'y étaient attardés plus que de coutume et qu'ils avaient couché à Hamdoune chez leur ami Kassi ou Haddad ; que tous les Européens du village les avaient vus, ainsi que les Kabyles, et ils me citèrent une profusion de noms. lI n'y avait plus à douter, ils étaient étrangers au crime qu'ils avaient néanmoins appris d'un berger rencontré en route. Quelle belle paire de bandits faisaient ces deux gaillards, au torse vigoureux, aux bras poilus et noirs, bas sur jambes comme des sangliers ! Je les connaissais depuis longtemps ; ils avaient la réputation de bravi toujours disposés, moyennant finances, à faire disparaître du royaume de ce monde les gens qui gênaient leurs amis (les amis ayant des douros, bien entendu). Mais je n'avais rien contre eux et je dus, à mon grand regret, les relaxer. Ils rechargèrent leurs fardeaux et s'en allèrent du même pas tranquille, causant avec les voisins, prenant des commandes pour le lendemain. Je pensais, mélancolique, à ce pauvre garçon dont le meurtre allait rester impuni, ne m'expliquant pas l'unanimité des témoignages dans un village où l'esprit du soff était très développé. Quelle influence pouvait être assez forte pour faire taire tout ce monde ? Quel était le meurtrier assez riche pour acheter tant de silences ? Le chef du douar était arrivé : il paraissait aussi étonné que moi de ce qui se passait. Il ne s'expliquait pas davantage les motifs du meurtre. Si Ali ou Toufik était un brave jeune homme, personne n'avait songé à lui faire du mal, car il n'en faisait à personne. On m'apporta alors un plantureux couscous, un couscous de gens qui ont beaucoup à se faire pardonner. Comme je n'avais rien pris ou à peu près, depuis la veille, j'y fis honneur, à la grande joie des habitants, qui pensaient que la digestion laborieuse que je me préparais, m'empêcherait de continuer mon enquête et de trop les tracasser.