Il y avait un sultan qui avait deux femmes. Toutes deux étaient stériles, et le sultan bien triste à l'idée de ne point laisser d'héritier après lui pour perpétuer son nom et gouverner son royaume. Or, un jour qu'il se promenait en solitaire, l'esprit occupé par cette douloureuse pensée, il rencontra dans un village trois filles âgées d'une douzaine d'années en train de jouer tout en badinant. Par besoin de distraction, il tendit l'oreille à leurs propos. — Moi, dit la première qui était la fille du bûcheron, si j'épousais le sultan, d'un seul grain de blé, je lui ferais tout un plat de couscous. — Moi, renchérit la seconde qui était la fille du menuisier, si j'épousais le sultan, d'une touffe de laine, je lui tisserais le plus beau et le plus fin des burnous. Moi, poursuivit la troisième qui était la fille du forgeron, si j'épousais le sultan, je lui donnerais trois enfants : un garçon qui aurait une tempe d'argent et l'autre d'or ; un garçon dont les dents seraient des perles et des diamants et une fille qui serait plus éblouissante que le soleil. En entendant ces bonnes paroles, un sentiment d'espérance submergea soudainement l'âme mélancolique du sultan. Il s'approcha de la fille du forgeron et lui demanda de le mener auprès de son père pour affaire. La jeune fille lui montra le chemin, et, lorsqu'il fut devant le forgeron, il demanda à ce dernier de lui accorder la main de sa fille. — Mais, Sire, répondit le forgeron, étonné, tu es le roi et je ne suis qu'un pauvre forgeron ; les gens riront de notre alliance. — Je suis le sultan et je fais ce qui me plaît. Je désire épouser ta fille, forgeron. Alors, le forgeron réfléchit un moment, puis hasarda : — Mais, Sire, ma fille est encore une enfant. Elle n'a pas atteint l'âge de raison pour faire une bonne épouse. A la maison, j'ai six autres filles dont plusieurs sont en âge de se marier. Tu pourrais faire ton choix, ô grand roi. — Mon choix est déjà fait, forgeron. J'épouserai celle-là et personne d'autre, coupa le sultan avec autorité. Devant la fermeté du sultan, le forgeron ne trouva rien à ajouter, Contraint d'obéir, il céda donc sa fille au monarque. Le sultan installa la jeune fille dans son palais et lui prodigua mille prévenances. Mais tant de sollicitude ne manqua pas d'aiguiser la jalousie de ses deux anciennes femmes. Elles haïrent leur jeune rivale avec force et, lorsqu'elles constatèrent sur elle les prémices de la grossesse, elles furent saisies d'effroi ; car elles redoutaient de tomber définitivement en disgrâce aux yeux du sultan. — Le sultan nous néglige assez comme ça. Mais qu'adviendra-t-il de nous le jour où cette chienne lui donnera un héritier ? Il ne lèvera plus les yeux sur nous. Vite, trouvons quelque chose pour lui rendre cette chienne répugnante. Elles s'intéressèrent de près à la grossesse de leur rivale et, lorsque cette dernière fut sur le point d'accoucher, elles firent venir la vieille Settoute pour les aider dans l'accomplissement de l'odieux projet qu'elles avaient échafaudé. Auparavant, prétextant une profonde amitié pour leur jeune coépouse, elles avaient obtenu du sultan la permission de s'occuper personnellement de son accouchement. Settoute leur apporta donc un chiot, caché dans les plis de ses robes. (à suivre...)