Chez nous, le café est un lieu éminemment social, convivial par excellence. Comme au Maroc et contrairement à la Tunisie, il ne viendrait à l?idée d?aucune femme d?y mettre les pieds. Ce serait là l?équivalent d?une profanation, du moins dans nos villes et villages du pays profond où l?on voit d?un mauvais ?il l?immixtion des femmes dans les lieux réservés aux hommes, comme cela s?est fait pour les mosquées et les souks. Le café est le dernier bastion, le lieu de prédilection favori et exclusif de la gent masculine. Il sera défendu bec et ongles contre ces satanées intruses. Même le trottoir y attenant leur est contesté. C?est dans ce c?ur battant de la cité que l?on se donne rendez-vous. L?on y joue aux cartes ou aux dominos à grand renforts de jurons et de tapes sonores sur la table. On y papote, on y ragote et l?on y sirote toute sorte de boissons chaudes et froides. Toutes affaires cessantes, l?on s?y précipite pour y recueillir les dernières rumeurs et y mettre du sien. Le café est un champ de bataille pour propagandes acharnées. C?est d?ici que sortent les blagues politiques les plus virulentes, l?intox assassine, la calomnie persifleuse. L?on s?y rencontre aussi pour faire ses petites affaires, vendre ou acheter quelque chose, prendre ses renseignements sur le jeune homme qui a demandé la main d?une fille, regarder et commenter le dernier match de football, réconcilier des ennemis. Que les clients du café soient quelque peu traités par-dessus la jambe ne gêne vraisemblablement personne ! Partout et où que vous alliez, le jus de chaussette, en guise de café, vous sera servi dans une sorte de petits verres à thé, poisseux et toujours les mêmes. Dans le meilleur des cas, dans des tasses ébréchées. Ne soyez pas trop pointilleux sur l?hygiène si vous voyez que derrière le comptoir les verres sont juste plongés dans un liquide noirâtre ou que les mouches se régalent avant vous des gâteaux à la crème qui trônent sur la desserte. Cet endroit est aussi le lieu de convivialité des cafards qui prospèrent allègrement dans la chaleur des percolateurs. Les chaises y sont souvent bringuebalantes et le dessus des tables est artistiquement décoré de cercles gluants laissés par les fonds de verres. Les toilettes sont généralement inaccessibles et il faut connaître personnellement le tenancier si vous voulez faire partie des privilégiés qui sont admis à s?y soulager. Si l?on vous accorde cette faveur, bouchez-vous le nez, fermez les yeux et ne respirez que lorsque vous en serez ressorti.