Retour n A l'exception de quelques «récalcitrants» qui refusent obstinément de quitter les Lieux Saints de l'Islam sous prétexte que c'est encore trop tôt, la plupart de nos pèlerins ont déjà rejoint leur foyer. Le retour d'un hadji à la maison se fête en général dans l'allégresse et cela depuis des temps éloignés. Rien n'est trop beau pour faire honneur à l'homme qui a foulé la terre sacrée du Prophète. Parents et beaux-parents mettent la main à la pâte et, pour quelques-uns, à la poche. Les cérémonies, en effet, coûtent cher. Bien sûr, le pèlerinage d'aujourd'hui n'est plus ce qu'il était il y a des lustres. En l'espace de six heures trente seulement, bien calés dans un fauteuil d'avion, et vous êtes à Djeddah pour fouler le tarmac. Il y a deux siècles, les moyens de transport et de substance étaient tels qu'aller à la Mecque relevait tout simplement de la gageure, du défi. De l'aventure homérique. Muni de quelques provisions de bouche et d'un petit viatique, le pèlerin devait traverser à pied tout le pays, le Sud tunisien et une bonne partie du désert libyen pour arriver en Egypte. Cela pouvait durer presque un an. Pour survivre, il bricolait ici et là et faisait quelques menus travaux chez l'habitant qui bien souvent l'hébergeait gratuitement et soignait ses blessures. C'est à partir d'Alexandrie qu'il traversera la mer Rouge pour arriver enfin dans l'autre continent, l'Asie. Son épreuve n'est pas terminée pour autant. Il devra là aussi s'appuyer sur son bâton de pèlerin et parcourir à pied et parfois à dos de chameau des centaines de kilomètres sous le soleil brûlant de ces contrées pour joindre enfin la ville sainte. Son séjour en général ne lui coûtera rien dans la mesure où tous les pauvres et tous les voyageurs qui viennent de loin sont pris en charge par des associations caritatives et de bienfaisance. Il y a tellement d'émirs et de princes en Arabie saoudite et tellement riches en plus que l'entraide avec les plus démunis des musulmans s'impose comme une nécessité et un devoir social et religieux. Aujourd'hui, par contre, des «moutawafs» vous prennent littéralement en charge. Votre hôtel est réservé, votre bus l'est aussi. Des conseillers vous guident pour vous permettre d'accomplir les différents rituels de la meilleure manière possible, les plus nantis, qui ont la possibilité de voyager à leur aise, peuvent, si cela leur chante, se payer à La Mecque le Sheraton (5 étoiles), les plats cuisinés McDonald et visiter, grâce à un guide particulier, de nombreux sites historiques et que le «hadji» lambda n'aura jamais l'occasion de voir. Hadjis «lambda» ou fortunés, tous reviendront au pays chargés de valises et de cabas fermement cadenassés. Après 6 heures 30 de traversée au-dessus des nuages et des continents, ils arriveront à destination presque aussi en forme qu'à leur départ. Les pèlerins des siècles derniers qui avaient énormément de courage mettaient, en revanche, une année de marche pour retrouver leur pays et les leurs. Fatigués, fourbus, harassés, très souvent amaigris, déshydratés et malades, ils n'émergeront de leur «vapeur» qu'au bout de plusieurs semaines. Certains membres de la famille sont là pour les féliciter, d'autres pas. Quelques-uns sont morts. Et comment pouvaient-ils le savoir à 10 000 km de distance ? Le pèlerin d'aujourd'hui n'a plus ce genre de souci en tête. Il peut tous les matins, grâce à son portable, appeler n'importe quel parent et avoir les nouvelles les plus fraîches et en temps réel de toute la tribu. L'espace n'est plus un écueil pour lui, ni un frein. Le temps non plus. Mais en a-t-il les mêmes mérites ?