Pour les inconditionnels du défunt président Mohamed Boudiaf, ses proches et amis, le 16 janvier est devenu à présent une tradition, une date sacrée, une sorte de rendez-vous immuable et incontournable, voire une obligation de se retrouver tous, réunis à El-Alia pour commémorer, de différentes façons, le retour de Mohamed Boudiaf au pays, après un long exil. Ce jour-là, venus de tous les horizons d?Alger, des environs et de plusieurs régions d?Algérie, tous ceux qui l?ont connu seront présents autour de sa tombe. Se répéteront alors le même rituel, le même cérémonial, une occasion de retrouvailles, de rencontres et de rassemblement. Un de ses vieux compagnons récitera la Fatiha et l?incontournable gerbe de fleurs sera déposée sur sa tombe. L?émotion, les regrets et les souvenirs seront de la partie. Nos vieux amis et compagnons du disparu, (ou du moins ce qui reste de la troupe), évoqueront pour nous le parcours du vieil homme, du père de la Révolution algérienne, du père fondateur du FLN, des nobles idéaux de Novembre 54 sous les yeux attendris et subjugués des plus jeunes. De tous ces jeunes venus apporter leur affection et leur reconnaissance à celui qu?ils considèrent toujours comme le seul et vrai président que l?Algérie ait connu ! Ils se souviennent encore, ces jeunes de cette drôle d?année 1992, de ce Boudiaf surgi de nulle part dont ils n?avaient jamais entendu parler, de ce bouillant «raïs», qui, très vite, avait réussi à établir avec eux, un contact chaleureux et sincère. Il les avait compris et séduits par son franc-parler, ses discours et les mots simples qui étaient ceux du c?ur dans un algérien bien de chez nous. Il ne faisait pas dans la dentelle et la démagogie, comme beaucoup de nos honorables dirigeants qui émaillent leurs allocutions de promesses rarement tenues ! Il ne promettait point à son peuple de décrocher la lune ! Il leur avait tout simplement tendu la main et les invitait à l?aider à mettre de l?ordre dans «la maison Algérie». Ce Boudiaf là inspirait le respect et l?admiration, il ne craignait personne. C?était un vrai Algérien, pur et dur, fier et impétueux qui ne reniait point ses origines de noblesse. Il dénonçait en termes violents et peu amènes, la mafia politico-financière qui vampirisait le pays depuis des lustres ! Il s?en prenait aussi à tous ces saboteurs, ces vautours, ces rapaces, disait-il. Il n?aimait pas non plus tous ces opportunistes notoires, ces aventuriers politiques de tous les horizons qu?il refusait bien souvent de recevoir à El-Mouradia. Bon nombre de ces hommes politiques, très en vue ces derniers temps, se souviennent encore de la fin de non-recevoir, du refus catégorique et formel qu?il leur avait réservé ! C?est cette image-là que tous ses vrais amis ont conservée de leur Tayeb El-Watani ! De cet homme, qui rêvait de rassembler tout son peuple, autour de sa légendaire et mémorable boutade «L?Algérie avant tout !» Et ce 16 janvier encore, pour ne point déroger à l?usage établi, des petits groupes se formeront pour évoquer, certes, leur Boudiaf, mais aussi, rassurés et persuadés d?être entendus par le vieux lion, ils commenceront, comme d?habitude, à lui conter tous leurs malheurs. Les malheurs de cette Algérie qu?il avait tant aimée. De la descente aux enfers, du répit qu?ils avaient connu avec lui. Ils lui parleront, à coup sûr, du terrorisme, de ces brigands d?islamistes que Bouteflika a libérés et autorisés à quitter le pays. Ils évoqueront avec lui le terrible séisme de Boumerdès, ses milliers de morts et de disparus, de tous ses sinistrés abandonnés à leur triste sort. De ces pauvres enseignants traînés dans la boue. De ces ârchs en quête de légitimité et de justice, pleurant leurs jeunes descendus comme des lapins ! De ces journalistes humiliés, conduits de tribunal en tribunal. Ils lui feront part également de la misère qui est devenue leur, de la paupérisation de larges couches sociales, du chômage, de la crise du logement, de la hogra, de la corruption, du clientélisme et du tribalisme qui sont devenus monnaie courante dans son Algérie souillée et avilie. Puis, les politiques, toujours aussi nombreux à El-Alia en cette occasion, si prompts à être vus par tous, s?éterniseront sur la grave et dangereuse crise politique que traverse le pays à la veille d?autres élections présidentielles. Ils lui parleront, sans coup férir, de l?invalidation du VIIIe congrès du FLN, du matraquage de ses députés devant l?APN, de la lutte fratricide que se livrent Bouteflika et Benflis. D?autres, plus ou moins bien renseignés sur l?art de la chose, affirmeront que le champ politique en Algérie est verrouillé, que tous les espoirs se sont envolés et que la démocratie n?est plus qu?un leurre et autres balivernes du même genre ! Et comme par enchantement, El-Alia se transformera en une immense tribune à ciel ouvert, une occasion inespérée pour tous les présents de s?en donner à c?ur joie et vider leur sac, de se confier au vieux militant, troublant ainsi son sommeil. Mais où va l?Algérie ?
