Tradition n Dans les pays culturellement avancés, comme la France par exemple, la lecture est un réflexe, une seconde nature. Selon des statistiques très fiables et pas encore contestées, un Français lit entre 12 et 14 livres par an bien loin devant l'Italien ou l'Espagnol. Il va de soi que dans un pays de 55 millions d'habitants dont 80% ont fait des études secondaires ou techniques et 40% des études universitaires ou spécialisées, les maison d'édition jouent absolument un grand rôle dans la diffusion des nouvelles sciences, des nouvelles technologies et des nouvelles découvertes. Ce qui explique entre autres, la fringale de lecture des Français. Ils lisent partout, à chaque fois qu'ils ont une minute de répit, à chaque fois qu'ils en ont l'occasion. Au bureau pendant la pause, dans le train, dans l'avion, dans le métro et, bien sûr, à la maison. Il apparaît clairement que ces maisons qui ont pignon sur rue et s'appellent Gallimard, Le Seuil, Editions de Minuit ou Maspero, ont une grande expérience dans le domaine et même une tradition fortement établie. Gallimard est considéré sur ce registre comme l'aïeul, l'ancêtre de l'édition et même le nec plus ultra surtout aujourd'hui où l'enseigne est devenue un véritable label de qualité. Ses romanciers et ses écrivains sont choisis parmi les valeurs les plus sûres de la littérature française, ceux qui demain, porteront ses maillots lors des différentes distinctions académiques ou de l'attribution des prix prestigieux tels que Goncourt. Mais on a beau être Gallimard on n'en commet pas moins d'erreurs. Et la gaffe en direction de l'ouvrage de Charrière intitulé Papillon qui s'apparente beaucoup plus à un manque de discernement qu'à une étourderie, peut-être considérée comme une énorme bourde qui a dû faire perdre à la Maison la bagatelle d'une centaine de millions de francs de l'époque en manque à gagner. Papillon, en effet, devait battre le record des best-sellers avec l'histoire jamais épuisée sur la vie des bagnes et la souffrance des bagnards. Des cinéastes en feront même un film qui aura d'ailleurs le même succès. Des «puristes» à l'affût du moindre mouvement qui dépasse les lignes, ont même prétendu, face à la célébrité planétaire de l'ouvrage, que Charrière a menti et que ses déboires dans ce pénitencier du bout du monde qu'était Cayenne, étaient ceux de quelqu'un d'autre qu'il aurait empruntés. Quelles que soient les suites que des chercheurs donneront plus tard à cette version et quelle que soit la part de vérité de Charrière, Gallimard est passé à côté d'un sérieux jackpot. Un gigantesque jackpot. Charrière, depuis, est mort et la Maison d'édition, apparemment, n'a pas encore fini d'en faire son deuil. En attendant, les plus grands maîtres de la littérature française sont publiés dans cette maison, y compris Mohammed Dib. n Lorsqu'on est publié chez Gallimard pendant très longtemps, on ne peut être qu'un maître en matière littéraire, un ancien lauréat du Goncourt ou de tout autre prix ou un académicien bien assis. C'est la raison pour laquelle entrer dans cette maison n'est pas facile, c'est même très difficile. On y entre comme on entre dans les ordres. Pour la vie. Bien sûr, nos jeunes écrivains rêvent d'y mettre les pieds et de côtoyer, eux aussi, les «éternels» et les talents indéniables qui font la réputation de l'établissement. Très peu seront élus et pour l'instant personne n'a encore foulé le sol de la prestigieuse maison. Cela viendra sûrement un jour quand on comprendra que le génie ne peut, en aucun cas, faire bon ménage avec la médiocrité ou s'en accommoder. Et la médiocrité est à peu près la seule valeur refuge qui reste dans notre pays.