L'art n'est pas très présent dans l'ordinaire, sommes-nous tentés de dire, de la ville algérienne. Dans nos rues, on ne trouve que très rarement des œuvres qui, sous d'autres cieux, agréent la promenade et éveillent la curiosité du visiteur. Dans les plus grandes villes algériennes, le nombre de statues, de stèles, de bas-reliefs, de monuments et de montages se comptent sur les doigts d'une seule main. Le bâtiment, également, est très sobre en matière d'ornements et de décoration. Les jardins et les espaces verts, lieux parfaitement adaptés à ce type de réalisations, sont aussi rares. Cette réalité, qui perdure depuis 1'indépendance du pays, n'est pas aisée à expliquer. On a démantelé «le décor» de la colonisation, mais sans mettre en place celui de l'indépendance. Ce ne sont pas les sujets qui manquent. En plus de la représentation de notre histoire récente, la culture algérienne offre un substrat extrêmement riche dans ce sens. Les responsables, au moment de l'urbanisation de larges secteurs de nos villes, n'ont pas jugé utile d'intégrer l'aspect esthétique, certainement considéré comme mineur. Visiblement, les paysagistes, les monumentalistes, les plasticiens, les graphistes ou les designers n'ont jamais été associés dans l'aménagement des nouvelles métropoles ou extensions urbaines. Nos artistes, faute de commandes et de plans de charges, ont été contraints d'aller voir ailleurs. Les architectes, non plus, n'ont pas fait l'effort de recherche nécessaire pour donner au bâti l'esthétique nécessaire et l'identité qui lui sied. En termes de matériaux utilisés, de formes extérieures et d'adaptation aux besoins propres des usagers, la décision s'est manifestement faite dans la précipitation comme pour répondre à une demande insistante, sans se soucier du confort ni mettre du style. Résultat : nos écoles, nos universités, nos mosquées, nos administrations et nos gares ne nous ressemblent pas. Des bâtiments quelconques sans âme particulière. Les placettes, les trottoirs, les ruelles et les recoins n'évoquent pas grand-chose aux yeux du visiteur intéressé. Ceci en ce qui concerne l'architecture. Les arts de la rue sont aussi absents. Dans les grandes métropoles, on trouve généralement des musiciens, des portraitistes, des acrobates, des magiciens et des graffitistes qui officient dans les endroits les plus fréquentés. Ces disciplines et expressions qui s'inscrivent dans le street-art, sont presque totalement absentes en Algérie. Faute d'encouragement, de jeunes prodiges peinent à percer dans un environnement tourmenté qui, à l'évidence, méprise l'art, la beauté et le talent. Intervenant dans le contexte de la crise des années 1990, l'avènement du rap a lézardé le mur de la peur et des préjugés pour ouvrir la voie à toutes ces expressions osées et souvent considérées comme subversives. Cette musique urbaine a profité de cette conjoncture douloureuse pour gagner les faveurs d'un public jeune, curieux et avide d'ouvertures et de nouveautés. Toutefois, les rappeurs n'ont pas bénéficié, pas assez en tout cas, de l'appui et de l'aide des autorités et des établissements culturels. Sur le terrain, seul le tissu associatif, avec des moyens souvent rudimentaires, participe réellement à la promotion de ces nouvelles expressions. Ceci, au moment où les grandes capitales du monde rivalisent dans la diversification et le développement des cultures urbaines qui deviennent de plus en plus «tendance» et jouent un rôle prépondérant pour leur image et, bien entendu, le tourisme. Le rap, la break-dance, le popping, le big box, le skateboard, le free style, le graffiti, le happening, la pantomime, entre tant d'autres disciplines, y investissent la rue comme espace d'expression directement accessible. En Algérie, voilà des lustres qu'on parle de nouvelle politique de la ville. Mais les résultats palpables tardent à se concrétiser. Le problème fondamental réside incontestablement dans l'idée que l'on se fait de l'art et les faux préjugés dont on l'affuble par ignorance. Ça y est, le mot est lâché ! K. A.