Dieu ! Ce n'est pas donné, Valls, via le Conseil d'Etat, a sauvé la République française. Ce qui n'était pas évident compte tenu de la nature de la menace. Certes, un comique sulfureux mais malgré tout un comique mais aussi et sur un autre front, hostile, le risque d'intelligence avec l'ennemi, dans ce cas précis le tribunal administratif de Nantes lequel, en vertu d'une loi de plus d'un siècle, n'a fait que garantir au présumé «terroriste» son droit de donner un spectacle. Un spectacle, serait-il honnête de le souligner, provocateur mais qui ne pouvait finalement être ainsi stigmatisé tant qu'il ne se serait pas déroulé. En plus simple, l'humoriste Dieudonné a été condamné sur une intention et non pas sur un fait avéré. Une aberration dans le sens où ce qui est désormais considéré en les circonstances et la matière comme un acte de jurisprudence va introduire la plus grande confusion dans l'interprétation des manifestations de tous genres dont la particularité serait qu'elles ne réunissent pas un consensus quant au thème abordé. Deux réactions de personnalités connues en France et que rien ne prédispose à la convergence de vue à savoir Christine Boutin, candidate à l'élection présidentielle de 2002, ancienne ministre de Sarkozy, celle qui réclame des valeurs catholiques et de la droite humanitaire a lancé un tweet après l'annonce d'une liaison amoureuse secrète de F. Hollande : «Le soir où la France affaiblit la liberté d'expression, voilà qu'on nous annonce l'amour secret du président sur Closer». Pour sa part, Bruno Gaccio, humoriste, scénariste, producteur, écrivain et durant quinze ans l'un des piliers de l'émission «Les guignols de l'info» et sans doute l'un des derniers soutiens de Dieudonné, confirmant son honnêteté morale et son indépendance intellectuelle a, tout en ne faisant pas sien «le problème pathologique qu'a Dieudonné avec les Juifs» dit son inquiétude sur l'intrusion du pouvoir politique dans la liberté d'expression. L'ancien co-auteur des Guignols revient sur la décision du Conseil d'Etat interdisant le spectacle de l'humoriste franco-camerounais en considérant que le parallèle avec une autre décision, celle-là prise en 1995, interdisant un spectacle de lancer de nains en ce qu'il attentait à la dignité humaine n'avait aucune similitude. Quoiqu'il en soit, les politiques qu'ils soient de gauche, de droite, d'extrême gauche et/ou d'extrême-droite n'ont pas hésité à dénoncer, pour des raisons en grande partie politiciennes, le zèle du ministère de l'Intérieur français, la dimension que son intervention a donné à une manifestation qui aurait pu être réglée et aurait le mérite de l'être par les voies légales normales concernant toute atteinte à l'ordre public. Or, comment parler d'atteinte à l'ordre public alors que le spectacle avait été interdit avant sa tenue au moment où des milliers de personnes attendaient sagement l'ouverture des portes de la salle où il devait avoir lieu. L'interdiction de la manifestation avait d'ailleurs été suivie d'une échauffourée entre les forces de l'ordre et les spectateurs déçus qui ont appelé à la démission du ministère de l'Intérieur tout en reproduisant ce geste qui fait tellement peur aux politiques : la quenelle et chantant «Shoah, ananas». Un Manuel Valls qui ne fait pas l'unanimité autour de lui, exception faite de celle des membres du gouvernement, solidarité ponctuelle oblige. Le zèle du ministre de l'Intérieur qui a plus agi en homme politique, donc mû par des considérations en ce sens sachant la proximité du rendez-vous important qui attend la Gauche avec les élections municipales qu'en serviteur de l'Etat en charge de la protection de la République et de ses valeurs. En déclarant «préférer que l'on agisse «avec les voies de droit traditionnelles», Jacques Lang, ancien ministre de la Culture de François Mitterrand, désavoue, personnellement et, dans la foulée, enfonce un membre du parti auquel lui-même appartient. A droite, Hortefeux, ministère de l'Intérieur du temps de Sarkozy a évalué autrement l'interdiction décidée par le Conseil d'Etat l'estimant ainsi comme «...une publicité inespérée à monsieur Dieudonné», alors que Marine Le Pen «...n'approuve pas la décision du Conseil d'Etat» et la «...trouve éminemment inquiétante» tout en dénonçant «...l'hystérisation du débat, c'est un scandale, soit vous êtes pour l'interdiction du débat, soit vous êtes antisémite» a-t-elle martelé sur le plateau d'une chaîne de télévision. Ne s'arrêtant pas à ce stade, la fille de son père ajoutera que «cela pose le grand problème des libertés publiques, de la liberté d'expression. On a assisté à un bouleversement de l'ordre juridique... l'interdiction, a priori, est totalitaire, elle s'appelle la censure». Dans cette affaire, compte tenu de son exploitation politique à la veille des rendez-vous électoraux locaux, le risque de retour de flammes est grand aussi bien pour l'homme de la Place Beauvau que pour l'ensemble du gouvernement lui-même, en raison de la conjoncture économique catastrophique dans laquelle il se débat. Une réalité qui devra se passer encore d'un potentiel scandale qui éclabousserait le chef de l'Etat avec une présumée relation amoureuse secrète avec une comédienne française qui viendrait faire, décidément, de François Hollande, un président normal... trop normal même. Ce tumulte importerait peu à la nation arabe si ce n'est qu'il tranche curieusement avec ce qui s'était passé lors de la publication des caricatures autour du prophète Mohamed. A cette époque, rarement liberté d'expression n'a été autant défendue et avec une unanimité sidérante aussi bien à gauche, au centre, à droite, extrême droite, extrême gauche, milieux artistiques, intellectuels et enfin au plus haut sommet de l'Etat puisque Sarkozy lui-même, en tant que chef d'Etat, avait déclaré, «Je préfère l'excès de caricatures à l'absence de caricatures» au motif de «liberté de sourire de tout». Ce qui ne semble pas être le cas pour Dieudonné auquel il est interdit de faire rire des Juifs. Curieusement, il fait quand même rire tout le monde, des Arabes, des gros, des riches, des noirs... A. L.