Un petit coin d'Italie à São Paulo, dirait TF1. Ou Groland. Sur le feu, des immenses marmites de sauce tomate mijotent. Sur la table attenante, un pain salé truffé d'olives et de jambon patiente en bonne compagnie, entouré de divers antipasti. De la cuisine charnelle et familiale qui réchauffe cette «cantina», où le rouge, le blanc et le vert prédominent. «Vai Italia, no e falta», hurle Gina, 79 ans, de sa voix cassée, alors que le Costa Rica mène au score. Assise devant un grand écran, Gina est entourée par une dizaine de femmes, dont la benjamine a 70 ans. Dans leurs cheveux blancs ou à la teinture fatiguée, des serre-tête décorés de fleurs aux couleurs de l'Italie. Ces femmes, ce sont les « Mammas de São Vito», saint-patron de Polignano a Mare, village de pêcheurs des Pouilles dont sont originaires nombre des Italiens qui peuplent cette zone populaire de São Paulo. 5 millions de descendants d'Italiens à São Paulo Il était une fois en Amérique. Avec un grand A. À la fin du XIXe siècle, la misère, la faim et un avenir bouché ont conduit au Brésil des milliers d'Italiens. Un flux qui n'a jamais vraiment cessé avant les Trente Glorieuses. Les descendants d'Italiens seraient désormais cinq millions rien qu'à São Paulo. Trente millions dans tout le pays. Modesto Gravina Neto, 81 ans, et président de «Beneficente São Vito Mártir», l'association qui organise pendant un gros mois (du 31 mai au 6 juillet) les fêtes de São Vito, est l'un d'eux. «Mon grand-père est venu en 1900», indique-t-il. «Le rêve de nos ancêtres, ce n'était pas le Brésil, mais l'Amérique, c'est-à-dire cette terre où on vient chercher une meilleur opportunité de vie», pose ce vieillard au crâne dégarni, à la moustache grise et à l'œil pétillant. Comme la plupart des descendants d'Italiens, Modesto Gravina Neto est fan de Palmeiras, club créé il y a exactement 100 ans par des migrants venus de la Botte. Ce grand club paulista était entraîné il y a peu par Felipe Scolari. L'actuel sélectionneur du Brésil, lui aussi descendant d'Italiens, s'est déjà rendu aux fêtes de São Vito. Parmi la soixantaine de personne réunies ce vendredi pour assister au match de l'Italie, une soutane noire tranche, celle du padre, João Beixera Ventura, 30 ans. Descendant de Romains, ce jeune curé avoue, devant un plat de spaghettis, qu'il «ne parle pas très bien italien». «Ici, on est tous Brésiliens, précise ce fan des Corinthians, club qui a également des racines transalpines. Mais cela n'empêche que l'on aime garder les traditions de nos ancêtres : la cuisine, la musique, les fêtes.» En ce sens, assister à un match de la Squadra Azzurra permet de dresser une passerelle vers la Botte pour ces descendants d'Italiens. Les fêtes de São Vito également. Cette célébration est née en 1920 pour collecter de l'argent afin d'édifier une église. «Pour les migrants originaires de Polignano a Mare, il manquait un lieu de culte, d'adoration du saint-patron», informe Modesto Gravina Neto, qui précise que la zone qui encercle l'église de São Vito était encore une sorte de petite Italie il y a une bonne trentaine d'années. «On se trouve à côté du marché municipal, dont 75% des stands sont tenus par des Italiens», enchaîne-t-il. «Je ne peux pas choisir entre mes deux patries» Ce vendredi après-midi, le match de la Squadra permet aux Mammas de faire une pause. Le reste de la journée, elles cuisinent en grande quantité des plats au parfum de mer Adriatique «faits avec des produits naturels». Samedi et dimanche soir, les convives s'assoiront autour de la vingtaine de tables de banquets qui occupent le grand espace. Selon Francesca, femme de Modesto Gravina Neto, une tonne de tomates y passent par week-end, ainsi que des centaines de kilos d'aubergines et d'oignons, entre autres. Les recettes engendrées par les repas consommés chaque week-end de la période des fêtes de São Vito permettent de financer une crèche destinée aux travailleurs pauvres. Egalement subventionnée par la mairie, la crèche n'est absolument pas réservée aux descendants d'Italiens, mais ouverte à tous. «De toute façon, nous sommes Brésiliens, argumente Modesto Gravina Neto. San Paulo est une ville où la norme est d'être descendant d'immigrant.» Reste que la communauté italienne a vécu une période noire lors de la Seconde Guerre mondiale. L'Italie de Mussolini était l'ennemi, et l'Etat brésilien interdit alors de parler italien dans la rue, sous peine de se retrouver derrière les barreaux. «Les dirigeants du São Paulo FC ont aussi voulu prendre le contrôle du stade de Palmeiras, assure Mateus, fils d'une Italienne et d'un Libanais, mais les Italiens se sont réunis en armes pour empêcher cela.» Au terme du match de la bande à Prandelli, Gina, née dans la rue qui jouxte la cantina, livre son analyse : «Je suis très triste, on a manqué de combativité face à des Costariciens qui avaient vraiment envie.» Gina et son mari, Luca Erriquez, parlent portugais, mais pas italien. En revanche, ils maîtrisent le dialecte de Polignano a Mare. «Nos parents étaient analphabètes», précise Luca, béret sur le crâne, et tricot vert, blanc et rouge sur le torse. Comme l'ensemble des présents, vendredi midi, Luca et Gina supportent la Squadra et la Seleção. Carmini Mazzari aussi. «Je ne peux pas choisir entre mes deux patries», assure ce conducteur de bus à la retraite, arrivé au début des années 50 à São Paulo. Fan du Milan AC, il réserverait toutefois bien quelques tomates pour Balotelli. «On dirait que ses jambes sont raides, il lui manque de la souplesse.» Après le coup de sifflet final, Carmini ne s'éternisera pas. «Chau», salue-t-il, à la brésilienne. Ou «Ciao», comme disait ses parents. In http://www.sofoot.com/