Ici, au Brésil, c'est un sujet sensible. Que ce soit chez le Brésilien de la rue, confronté de façon amicale, souvent autour d'une cerveja ou d'une caïpirinha, à des supporters de tous pays, que chez les journalistes, qui affrontent eux les points de vue, souvent convergents, de leurs confrères étrangers. Le Brésil, mettons donc les pieds dans le plat, serait honteusement favorisé par l'arbitrage depuis le début de cette Coupe du Monde. Pardon, de Sa Coupe du Monde. Voilà la thèse soft, sa version plus «punchy» visant à démasquer un complot minutieusement ourdi par la Fifa afin de permettre au Brésil d'aller le plus loin possible. Sans doute jusqu'au bout. La Fifa a doublement débouté les Brésiliens lundi Autant dire que cette idée (la première, car la seconde est balayée d'un revers de main) fait, de Rio à Sao Paulo, osciller votre interlocuteur entre sourire crispé et réel agacement. Au contraire, dans le sillage d'un Luiz Felipe Scolari malin comme un singe, les Brésiliens ont retourné le problème depuis la blessure de Neymar ce week-end. Le coup de genou du Colombien Juan Zuniga dans le dos du numéro 10 brésilien, qui a ruiné à la fois sa vertèbre et ses rêves de jouer une demie et potentiellement une finale de Coupe du Monde, a tourné en boucle pendant 48 heures sur toutes les télés. Ça, plus le carton jaune infligé à Thiago Silva, synonyme de suspension contre l'Allemagne, a fait sortir le bon Felipao de ses gonds. «Je pose la question, a fulminé lesélectionneur brésilien après le quart de finale. Même pas un carton jaune pour le coup donné sur Neymar ? Rien. Thiago passe devant le gardien, carton jaune. C'est incompréhensible. Et, tout le monde sait que Neymar est chassé sur le terrain.» La Fédération brésilienne est même allée jusqu'à demander à la Fifa d'ouvrir une procédure disciplinaire contre Zuniga ainsi que le retrait du carton jaune infligé à Thiago Silva. Mais, comme prévu, elle a été déboutée sur ces deux points lundi par l'instance dirigeante du football mondial. La posture de la victime qui tombe à pic N'empêche, la pilule Zuniga passe mal ici et les Brésiliens sont à peu près unanimement persuadés que l'intention du joueur était bien de faire mal et que Neymar a été ciblé. Le site Internet Lancenet.com estime que la faute de Zuniga n'avait rien d'involontaire et que le Cafetero était bien allé placer son genou dans le dos de Neymar pour punir le numéro 10 de la Seleçao. D'une certaine manière, un point de vue cynique pourrait considérer que l'affaire Neymar tombe à pic. Pas pour les chances de titre de la Seleçao, évidemment. Mais elle lui a permis d'endosser un statut de victime alors que tout le monde ou presque la pointait du doigt. Car une grande partie de la presse internationale estime que le Brésil jouit d'un arbitrage-maison depuis le début du Mondial. Il y a clairement un match pour lequel on peut avancer que le Brésil a bénéficié de façon directe et incontestable d'une décision d'arbitrage. C'est le tout premier, face à la Croatie, avec ce penalty obtenu par Fred pour une «faute» de Lovren, alors que le score était encore de parité en seconde période. D'ailleurs, cette décision, la presse brésilienne, il faut le reconnaitre, l'a très majoritairement condamnée, Globo la qualifiant même de «grotesque». Le penalty contre la Croatie, ce «péché originel» Pour le reste, les Auriverde trouvent que la tirade confine à l'injustice. Hector Silva est journaliste brésilien. Il a notamment collaboré au magazine Placar. Pour lui, le penalty de Fred est une sorte de «péché originel». «C'est une décision lourde de sens parce qu'elle a peut-être changé la donne dans ce tournoi, concède-t-il. Si le Brésil n'avait pas battu la Croatie, il aurait pu terminer deuxième de son groupe et jouer les Pays-Bas. Rien ne dit d'ailleurs qu'il aurait perdu, personne ne le saura jamais, mais oui, ça a changé beaucoup de choses. Et c'était vraiment une mauvaise décision. Mais je n'ai pas le sentiment, depuis, que la Seleçao soit portée à bout de bras par les arbitres.» En huitièmes de finale, face au Chili, l'Anglais Howard Webb a ainsi, rappelle-t-il, refusé un but à Hulk en seconde période pour une faute de main. «Ça peut se siffler, poursuit Hector Silva, et je pense même qu'il était sans doute juste de refuser le but. Mais ce n'est pas non plus une faute de main très évidente. Je pose la question : si le Chili avait marqué le même but et que l'arbitre l'avait refusé, qu'aurait-on dit exactement ? Il faut juste considérer toutes les décisions avec un seul et même angle, et pas selon celui qui vous arrange.» Tout serait donc affaire de point de vue. Méchant Brésil et gentille Colombie Quant au quart de finale contre la Colombie, il a été bien mal maitrisé par l'arbitre espagnol, M. Velasco Carballo, qui aurait sans doute pu, et même dû, sanctionner par des cartons certaines fautes. Des deux côtés. À la pause, comme l'a décortiqué le journaliste écossais Bobby McMahon, les deux équipes avaient commis à peu près le même nombre de fautes (13-12) et c'est certainement celle de Zuniga (déjà) sur le genou de Hulk qui aurait le plus justifié un carton. «Cela tord un peu le cou à l'idée selon laquelle le méchant Brésil aurait agressé la gentille Colombie avec la complicité passive de l'arbitre», estime à ce sujet le journal Lance. Au lieu de quoi M. Velasco Carballo a distribué les cartons quand il ne fallait pas. Contre James Rodriguez, par exemple, sur cette faute (la première du match du meneur colombien !) qui a amené le but de David Luiz ou... Thiago Silva. Dans l'absolu, le jaune reçu par le capitaine brésilien n'est pas du tout absurde. Mais dans le contexte du match, sachant ce que l'arbitre avait laissé passer au préalable et ce qu'il a laissé passer après, il détonne. Comme celui de James. «Franchement, pouvait-on lire dans Folha samedi, si le Brésil était sciemment avantagé par l'arbitrage, avec des consignes directes de la Fifa, croyez-vous que l'arbitre aurait donné ce carton jaune à Thiago Silva, car il n'ignorait probablement pas qu'il était sous le coup d'une suspension, ou qu'il aurait donné un penalty à la Colombie ou encore que M. Webb aurait refusé le but de Hulk ?» Le Brésil s'insurge donc de ce procès d'autant plus retentissant qu'aujourd'hui, les réseaux sociaux contribuent à donner une ampleur planétaire et instantanée à l'opinion. Jouant à fond la carte de l'indignation depuis la blessure de Neymar, le Brésil en fait peut-être beaucoup. Mais c'est une façon, pour le groupe de Luiz Felipe Scolari comme pour le pays, de se souder dans l'optique de cet objectif commun nommé hexacampeão que, chacun le sent bien, la Seleçao aura du mal à atteindre. Avec ou sans les arbitres... L. V. In fr.sports.yahoo.com