La Tunisie élit dimanche prochain son premier Parlement depuis la Révolution de 2011. Un fort moment pour pérenniser une démocratie naissante véritable exception dans le monde arabe post «printemps arabe». Après trois semaines d'une campagne agitée, 5,2 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour élire 217 députés dans 33 circonscriptions. Le parti islamiste Ennahda part en position de force dans ces élections dans une Tunisie à la croisée des chemins. Le pays berceau des révoltes arabes, a vécu une phase d'instabilité notamment lors de la terrible année 2013, marquée par l'essor des groupes extrémistes, l'assassinat de deux opposants, et une économie fragilisée. Finalement, la classe politique tunisienne, dans une conjoncture difficile, est arrivée à un consensus grâce à la maturité de la société civile, aboutissant à une Constitution consensuelle. Après les législatives de ce dimanche suivra la présidentielle le 23 novembre. Le parti Ennahda se pose aujourd'hui en mouvement du «consensus» à même «d'instaurer un Etat démocratique», selon les termes de son leader, Rached Ghannouchi. Mais si la Tunisie a évité le pire, certains observateurs estiment qu'il est bien trop tôt pour parler de modèle de réussite, d'autant que les élections se déroulent avec deux ans de retard sur le calendrier initial. Les détracteurs d'Ennahda, en tête le parti Nidaa Tounès dirigé par Béji Caïd Essebsi, dressent un bilan noir du passage au pouvoir des islamistes, aussi bien sur le plan socio-économique que sécuritaire. En 2011, face à des opposants divisés, le parti Ennahda était arrivé en tête du premier scrutin libre de l'histoire de la Tunisie. Pour les législatives de dimanche, le camp «démocratique» se présente à nouveau en ordre dispersé. Divergences idéologiques, querelles d'ego et mode de scrutin à la proportionnelle. Un désordre qui laisse une chance aux «petits» partis. Les détracteurs des islamistes auront le choix entre une multitude de listes. Si Nidaa Tounès, un parti hétéroclite réunissant militants de gauche, syndicalistes, hommes d'affaires et même des membres du parti du président déchu Zine El Abidine Ben Ali, se détache très largement, la présence des autres listes séculières peut lui coûter la première place. Celle qui, selon la Constitution, détermine le parti devant former le prochain gouvernement. Fondée en 2012 par l'ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle, Béji Caïd Essebsi, 87 ans, cette formation fait à la fois campagne contre les islamistes et contre ses alliés d'hier, comme l'Union pour la Tunisie (UPT, gauche), tout en promettant une alliance au pouvoir à ces derniers. Un appel qui trouve un écho certain chez ceux qui, coûte que coûte, veulent éviter que les islamistes reprennent les rênes du pays. Les partis allant du centre-droit à l'extrême gauche ne cessent dès lors de dénoncer un risque de «bipolarisation» de la vie politique et de prôner les vertus d'un scrutin qui permet même aux petits d'être représentés. L'UPT s'est d'ores et déjà dit prête à former une alliance postélectorale avec Nidaa Tounès et à recréer leur éphémère alliance anti-Ennahda formée après les assassinats en 2013. Les Tunisiens semblent toutefois loin de se passionner pour le scrutin. Des centaines de murs devant accueillir les affiches électorales sont restées à moitié vides, et des organisations d'observation électorale ont dit avoir eu du mal à recruter. R. I.