Alger la Blanche, «El Bahdja», cosmopolite, bigarrée et turbulente avec ses clubs de football, a toujours inspiré écrivains et artistes, à commencer par les frères Goncourt, revenus dans la ville qui les a vu naître à la littérature le temps de la tenue du 19e Salon international du livre d'Alger (Sila). La capitale algérienne, El Bahdja pour ses «native son», a toujours exercé une influence particulière sur les étrangers, artistes notamment, qui découvrent ses couchers du soleil, ses ruelles blanchies à la chaux, ses fruits de mer et la douceur de vivre suintant de ses petites plages. Le 19e Sila, comme de tradition, foisonne, à travers auteurs et maisons d'édition, d'ouvrages sur Alger, muse parmi les muses, avec parfois ses quartiers de la vieille médina sombres et humides, qui ont inspiré tant de romanciers, de cinéastes, d'intellectuels. Il n'est dès lors pas étonnant que «El Mahroussa» (la bien gardée, l'autre surnom d'Alger), fut une vraie découverte pour la passion de l'écriture des frères Goncourt, Jules et Edmond. Dans une de ses lettres à Louis Passy, en 1885 Jules de Goncourt s'extasie devant Alger, ville des artistes : «Décidément, mon cher, il y a deux villes au monde : Paris et Alger. Paris, la ville de tout le monde, Alger, la ville des artistes.» Les deux frères Goncourt, venus à Alger en 1849 comme peintres, y découvrent ensuite la passion de l'écriture. Dans Alger la blanche, Salah Guermiche débusque presque avec jouissance ce vieux secret des frères Goncourt, qui, dans Lettres de Jules de Goncourt, puise ce sublime passage : «Bab Azzoun et Bab El Oued, rues animées par la bugarrure étrange, pittoresque, éblouissante, d'une Babel du costume....» Et puis, il y a cet hommage sublime à la cité d'une gravure d'Alphonse Descaves dédiée aux deux frères Goncourt, à Alger, où Le Corbusier, de peintre est devenu architecte, où Karl Marx a séjourné le temps d'une convalescence qui aura produit une note synthétique dénonçant sur le système agraire colonial. «Alger, la ville aux deux Goncourt», c'est la gravure d'Alphonse Descaves, reproduite à partir d'une photo de Nadar. Alger. Notes au crayon, était ce fameux carnet de voyage à Alger des frères de Goncourt. Le prix Goncourt, qui récompense chaque année un auteur d'expression française a été institué en 1902 sur la base du testament d'Edmond. L'autre icône de l'architecture Art Déco des années 1950, Le Corbusier, a écrit en 19401 ceci : «C'est à travers ma peinture que j'ai trouvé l'architecture.» Un designer allemand, Oti Aicher estime que «au fond, Le Corbusier aurait pu dire qu'il devait son architecture d'Afrique du Nord à Alger et Ghardaïa». Et puis, un peu plus loin dans le vieil Alger, on replonge dans Alger la religieuse avec Les mosquées historiques de la ville d'Alger, de Aïcha Kerdoune. La Casbah, avec ses venelles humides d'où se dégage l'odeur de la menthe sauvage qui agrémente le plat traditionnel des algérois (ragoût de pommes de terre avec de la menthe sauvage et des oeufs), s'offre au lecteur à travers ses mosquées, ses minarets et leur histoire, que raconte Aïcha Kerdoune. Il y a bien sûr les mosquées de Sidi M'hamed Cherif, une M'salla (petite mosquée de quartier), «Djamaa Safir», «Sidi Ramdane», «Ketchaoua», «Sidi M'hamed Ben Ali», «Djamaa El Berrani», car construit au delà des remparts de protection de la cité, tout près de l'ancien palais du Dey, et, vers El Hamma, la mosquée de «Sidi M'hamed Boukabrine», où est enterré le frère d'Ahmed Benahmed El Mokrani, Boumezrag. Avec Le cri, Samir Toumi, plonge dans Alger des années 2000, qui prend une allure dantesque. Le désarroi des jeunes, le 5 octobre 1988, la mal vie, une quête des origines d'une médina aux mille et uns visages. Des visages multiples qu'aura façonné le temps qui passe sur l'ancienne place forte de corsaires et de «marins débraillés venus des quatre bouts du monde», comme l'a écrit un des frères de Goncourt, Edmond, dans Lettres de Jules de Goncourt. Le temps des cerises Et ce vagabondage à travers l'histoire de la ville d'Alger est repris au vol par des images aériennes «d'Alger sous le ciel», un recueil de photographies de Kays Djilali avec les textes de Malek Alloula et Nina Bouraoui. Et puis, il y a le temps des cerises, celui des fruits «moins chers qu'en Europe» que l'on achetait dans les rues d'Alger au 19e siècle, explique un Anglais, Robert Shaw, qui a pondu un livre, dépoussiéré par Abderrahmane Rebahi, comme une offrande à El Bahdja pour ses dix années passées à sillonner le Sahel algérois. Et, plus près de nous, il y a une importante littérature sur cette ville méditerranéenne, rebelle, qui a toujours vécu avec le regard tourné vers la mer, une ville réputée également par ses lions «de Barbarie», qui hantaient jusque vers la fin du 19e siècle les hauteurs alors boisées de Hydra. Pèle mêle, il y a le sociologue Larbi Icheboudène, avec son Bab El Oued à ville ouverte, Les captifs d'Alger, de Latifa Hessar, Si Belcourt m'était conté de Messaoud Djenass, La Casbah et ses petits Ouled, de Mohamed El Mehan, ou Complot à Alger de Ahmed Gasmia. La foisonnante littérature sur la ville chère au regretté Momo (Himoud Brahimi), qui a été sollicité pour jouer le film Tarzan dont une partie a été tournée au Jardin d'Essai et d'Acclimatation du Hamma, n'a d'égale par ailleurs que l'abandon des poèmes et «q'cidates» que lui ont dédié des chanteurs célèbres. Mais, cela est une autre histoire de la Casbah des Hadj M'rizek, El Anka ou Cheikh El Afrit. L'époque des grands films aussi, avec cet inoubliable Pépé le Moko de Gabin. APS