Autrefois, les cafés maures, lieux de sociabilité masculine et d'effervescence citadine, faisaient office de foyers d'animation musicale, notamment lors des soirées ramadhanesques l Ces dernières années, seul le café El Bahdja et le cercle de l'USMA tentent de recréer cette ambiance. Dans une atmosphère conviviale, les musiciens se réunissaient, qui pour égrener son répertoire zyriabien et qui, pour se requinquer, l'espace d'une qaâda, autour d'un café djezoua ou d'un thé fleurant bon. Ces espaces, vers lesquels affluaient des gens de la périphérie de la ville d'Ibn Mezghenna et d'autres villes comme Koléa, Blida, Cherchell, Miliana, connues pour leur penchant musical andalou, constituaient un support incontournable pour les musiciens. Combien en reste-t-il de ces cafés rassembleurs d'une activité citadine qui encensait le dédale de la vieille médina de volutes musicales ? Aucun, nous dira ammi Ali, un octogénaire, qui, tout enfant, se rappelle du climat ambiant qui régnait au cœur et aux alentours du vieil Alger. Il secoue sa mémoire pour nous égrener quelque souvenance d'un passé qui n'a plus pignon sur rue. Qahouat Laârich, située au niveau de la rue Kleber, qui n'existe plus, et dont le nom est relatif à un pied sarmenteux de vigne sous lequel les amateurs de la djezoua laissaient couler leur dolce vita au milieu d'une fragrance de jasmin et de basilic. Un café qui servait de lieu de rencontre pour les musiciens qui venaient y décompresser en jouant des morceaux du répertoire andalou. Dans cette même vieille médina, il y avait Qahouet Bouchaâchou'e ou café El Bahdja, dans la Basse-Casbah, sis à la rue Vialar, où de vieux mélomanes citadins se rencontraient de manière assidue pour offrir des moments de farniente à un public fidèle. Le grand maître, Mohamed Sfindja, connu pour son activité artistique, fréquentait quotidiennement ces lieux. D'autres cafés maures ne désemplissaient pas de mélomanes, comme Qahouet Malakoff, située à la rue du Vieux palais, ou Qahouet el Boza qui drainaient de jeunes récipiendaires mélomanes. Alger s'enorgueillissait aussi d'une pléiade de musiciens de confession israélite qui ont contribué à la sauvegarde de ce patrimoine musical classique. Quand bien même ils ne maîtrisaient pas la langue classique, ils faisaient de la poésie littéraire zyriabienne, une matrice culturelle, particulièrement lors des circonstances festives. Aux côtés de Mahieddine Lakehal, Bencharif et Ahmed Sebti, la liste de noms de musiciens juifs séfarades est longue. On peut évoquer Lili El Abassi, chanteur andalou, Laho Seror qui excellait, dit-on, dans le jeu de la kuitra, le virtuose Saci (propriétaire, lui aussi, d'un café à l'ex-rue de la Lyre) qui grattait superbement la mandoline au même titre que son coreligionnaire Edmond Yafil. Ce dernier, fils de Makhlouf Yafil, prenait plaisir à écouter les airs andalous. Ce qui l'amena, plus tard, à transcrire près de 500 airs qu'il prit soin de déposer à la Sacem. Il faut souligner qu'une bonne partie de la transcription de ce trésor est l'œuvre aussi de Mohamed Sfindja qui entra, par répliques interposées dans la presse, dans une guéguerre avec le musicologue Jules Rouanet Edmond Yafil à propos de la paternité de la transcription. El Bahdja, un réceptacle pour les mélomanes Un autre café dit Qahouet Lafnardjia, situé en amont du passage dit souikia. Un lieu où les lampistes observaient une halte quotidiennement au milieu des alladjia et autres épigones de la zorna, après avoir allumé ou éteint les réverbères publics éclairant le dédale de la médina.Plus bas, à la pêcherie, il y avait le café de Hadj Brahim, fréquenté, lui aussi, par nombre de musiciens. Le maître du chaâbi, Hadj M'hamed El Anka, dit le Cardinal, avait son propre établissement, le café des Sports, situé à la rue Hadj-Omar (ex-rue Bruce). Le lieu, dont la façade revêtue de mosaïque n'est plus qu'un vestige, un lointain souvenir où boxeurs, cyclistes et footballeurs y élisaient leurs quartiers. Des bribes de réminiscences de ce patrimoine immatériel sont évoquées, non sans une pointe de nostalgie, par des vieux fréquentant les cafés Tlemçani et El Kamel. Cela n'empêche pas que des soirées chaâbies soient animées par des artistes dans le nouveau café dit El Bahdja, près de la DGSN. Histoire de renouer avec la tradition et créer un climat qui se veut rassembleur des mélomanes et une opportunité permettant aux jeunes talents d'émerger sur la scène artistique. Une occasion aussi pour les gens de Oulidet el Assima de se retremper dans une ambiance bon enfant, aux côtés de ceux venus d'outre-mer, se ressourcer auprès des leurs et humer les effluves du terroir.