Aucun journaliste ne sait plus ce qu'est une bonne nouvelle, a constaté un jour le Dalaï Lama. Et les bonnes nouvelles au sujet même de son métier sont de plus en plus rares. En revanche, les mauvaises qui le concernent s'accumulent de nos jours tels des nuages cumuliformes dans un ciel de traîne. Sale temps pour les chiens aurait dit à son tour le romancier Jean-Marc Nicol. Journaliste, un fichu métier, aujourd'hui plus qu'hier ! Des Etats-Unis nous arrivent ces dernières semaines des informations qui confortent le sombre constat. La presse américaine s'est fait l'écho ces derniers mois de l'intérêt de choisir la carrière de journaliste. Elle a notamment commenté l'étude annuelle du site de recherche d'emplois Career Cast qui révélait que «journaliste» est le pire métier de 2015. Cette fois-ci, c'est de Belgique qu'arrive une autre mauvaise nouvelle. «Journalistes», la revue de l'Association des journalistes professionnels (AJP), présente en effet un dossier sur les raisons qui incitent les journalistes à quitter le métier si cher à Kateb Yacine. La publication se base notamment sur un mémoire pour l'Université de Liège. Elle souligne que «la dégradation des conditions de travail et des pratiques journalistiques» décourage davantage les journalistes à continuer le métier de la passion. Le métier de tous les tracas, selon la formule arabe. Les journalistes auraient donc tendance à fuir le journalisme en ces temps de mondialisation malheureuse et de numérisation angoissante. Et les raisons du découragement sont variées. D'abord l'accumulation infernale des tâches : le développement numérique accéléré et les restructurations ont considérablement alourdi la charge de travail des journalistes sans compensation financière. On parle ici des journalistes, des vrais, qui bossent selon les normes du journalisme professionnel, pas les copieurs-colleurs, ces adeptes du click compulsif comme on en rencontré dans les rédactions algériennes. Ah, il y a bien sûr le manque de temps : en raison de l'information à flux tendus, les journalistes professionnels ont beaucoup moins de temps pour recouper les sources, encore moins de faire de l'investigation et encore moins en Algérie. Ajoutons alors la diversification des contenus qui fait que les journalistes ne peuvent plus produire pour un seul média. L'obligation de pondre rapidement des contenus pour plusieurs supports, pour la presse écrite, l'audiovisuel et l'internet dans certains cas, affecte sensiblement la qualité des contenus. Autre facteur majeur, l'évolution des contraintes éditoriales, la réduction des informations régionales comme c'est le cas en Algérie, la nécessité de faire toujours plus court et la déformation des contenus qui sont de plus en plus superficiels, sont vécues comme une altération de la qualité et une dépossession de l'autonomie journalistique. Il y a ensuite la lassitude des journalistes qui estiment avoir «fait le tour» des informations ou expriment un harassement par rapport à l'étroitesse des sujets ou des territoires à couvrir. Et, last but not the least et de manière essentielle, le salaire. La rémunération, trop faible, encore plus en Algérie où elle a la valeur d'une poignée de noyaux d'olives, est souvent le premier motif de départ. La raison est encore plus forte lorsque l'absence d'augmentation barémique est évoquée. Les directions des publications ne tiennent pas leurs promesses, alors même qu'aucune gratification substantielle n'accompagne la prise de nouvelles responsabilités. Les horaires et les congés sont rarement respectés, notamment les congés de récupération. Enfin, un stress quotidien accompagne les pisse-copie, parfois jusqu'au burn out ! Reste par ailleurs les synergies. Où l'on observe que les nouvelles collaborations entre les médias affectent sérieusement les pigistes et la qualité des contenus, certains feuillistes, comme c'est le cas en Algérie, servant des papiers clonés à divers supports. Sans oublier les cadences et les amplitudes horaires. Les horaires lourds sont certes propres au métier mais ils sont vécus encore plus difficilement que par le passé. A telle enseigne qu'il reste peu de place pour concilier vie professionnelle, vie sociale et vie familiale. Et on arrive enfin au moral des troupes. La morosité profonde du secteur, l'effet de la crise financière et les incertitudes inhérents au changement numérique affectent nettement le moral des rédacteurs. Aux griefs traditionnels s'agrègent désormais l'impact des nouvelles pratiques journalistiques. Choc d'autant plus pervers qu'il touche à l'essence même du métier. Jamais le journalisme n'a été mis en danger par des horaires extensibles et les servitudes qui lui sont propres et qui font même son charme. Mais pas sûr qu'il résiste longtemps, sous sa forme actuelle ô combien incertaine, aux exigences des mutualisations, aux impératifs d'immédiateté et à un développement numérique parfois anarchique et flippant. La passion et l'imagination, sans cesse renouvelées, pour ce métier, sauront-elles lui conserver ses lettres de noblesse ? Pas sûr. Le journalisme mène à tout, à condition d'en sortir, disait l'académicien et grand journaliste français Jules Janin. N. K.