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Sakarat Nedjma, un thriller ésotérique d'Amel Bouchareb
Avec ce premier roman, l'auteure s'impose déjà comme une plume prometteuse
Publié dans La Tribune le 05 - 03 - 2016

En plus d'exceller dans la construction de ses personnages, Amel Bouchareb impressionne également par les prouesses formelles qu'elle met en œuvre pour maintenir en haleine le lecteur. Ainsi, le mystère restera entier jusqu'aux dernières pages du livre où l'auteure propose pas moins de 84 chapitres, très courts, conçus à la manière de plans cinématographiques, interrompus parfois au comble du suspens par un jeu de retours incessants sur le passé de certains personnages
Palpitant, complexe et érudit, puisant dans l'histoire des symboles religieux autant que dans les fantasmes qu'ils alimentent, Sakarat Nedjma, premier roman en langue arabe d'Amel Bouchareb, se lit comme un thriller ésotérique sur le thème de la création artistique. Dans ce livre de 429 pages, paru aux éditions Chihab, le lecteur est invité à dénouer les mystères de la mort suspecte d'Ilias Madi, un peintre algérien au succès international élevé en Italie, qui revient dans son pays d'origine dans l'espoir de retrouver l'inspiration. Ce retour à Alger, coïncidant avec l'annonce de la disparition du grand-père, s'impose à l'artiste après une étrange conversation avec «Cheikh Borhane», un maître soufi rencontré dans un temple bouddhiste à Pise. Parallèlement à la quête d'Ilias - et à l'enquête conduite par un inspecteur de police - la romancière déroule l'histoire de Damia Ben Haroun, fille d'un vendeur d'objets d'artisanat d'Alger, engagée dans une agence publicitaire que la propriétaire reconvertit en maison d'édition pour «prendre sa part» de la subvention publique, à l'occasion d'une grande manifestation culturelle.
Ces deux histoires qui ont pour cadre le même immeuble colonial servent surtout à produire un halo de mystère où les symboles de différentes religions et croyances (païenne, hébraïque, chrétienne, musulmane, hindouiste, franc-maçonnique et même satanisme) s'enchevêtrent au centre de l'intrigue. Ce qui donne, par exemple, ces discussions via Internet entre Ilias Madi et son ami Irmano Pirgonzi, professeur d'art sacré à Turin et adepte de la Kabbale (mystique juive), ou encore cet échange entre les Ben Haroun, père et fils, autour d'une étoile à six branches gravée dans un plateau en cuivre de leur magasin...
La présence de ces symboles révèle l'étendue du travail de recherche accompli par la romancière de 32 ans : des supputations autour de la véritable religion de Christophe Colomb, aux superstitions autour des temples et statues de la ville de Turin, en passant par les dieux païens de l'Afrique du Nord et l'histoire du soufisme, autant de preuves d'érudition présentes dans le récit. Impressionnant par ces références historiques, le roman l'est aussi par l'humour acide pratiqué par l'auteure pour dépeindre des personnages de responsables d'institutions publiques ou d'hommes politiques en Algérie, tous suspects potentiels dans la mort du héros.
Il en est ainsi de «Monsieur Améziane», directeur de l'académie des Beaux-arts, qui a «acheté son doctorat (une thèse plagiée) à 380 millions de centimes», ou encore de «Madame Safri», directrice fantasque et mégalomane d'un institut de recherche, plagiaire, elle aussi, de Damia Ben Haroun dont elle détournera les travaux universitaires pour impressionner «sa cour». Le plus édifiant reste, cependant, le Dr Chenit, un personnage très influent et très soutenu en haut lieu, député et président de «Notre Algérie», une ONG revendiquant des milliers d'adhérents sur tout le territoire.
Cette sévère critique sociale atteindra son apogée par l'évocation de Nedjma, le chef-d'œuvre de Kateb Yacine, dont des passages entiers sont repris pour servir, à la fois, de contrepoids aux réalités décrites et de clé pour la compréhension du récit.
En plus d'exceller dans la construction de ses personnages, Amel Bouchareb impressionne également par les prouesses formelles qu'elle met en œuvre pour maintenir en haleine le lecteur. Ainsi, le mystère restera entier jusqu'aux dernières pages du livre où l'auteure propose pas moins de 84 chapitres, très courts, conçus à la manière de plans cinématographiques, interrompus parfois au comble du suspens par un jeu de retours incessants sur le passé de certains personnages. Cette maîtrise technique est en outre servie par une langue simple mais qui ne manque pas de subtilité, particulièrement pour les chapitres les plus drôles.
Avec tous ces ingrédients, auxquels s'ajoutent les différents niveaux de lectures possibles de ce récit ambitieux et foisonnant, la jeune romancière - auteure d'un recueil de nouvelles chez le même éditeur - s'impose d'emblée comme une des plumes les plus prometteuses de sa génération.
APS


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