Et si l'exemple venait du ciel ? Avec ses «vaisseaux solaires» à moteur hybride et à ailes gonflables et solaires, la société canadienne SolarShip symbolise l'ambition du nouveau gouvernement dans les énergies renouvelables et les technologies propres. «Croire en l'innovation, c'est aussi croire au talent et à la créativité des Canadiens.» En présentant, mardi 22 mars, un budget faisant la part belle aux investissements pour une croissance plus verte, le ministre canadien des finances, Bill Morneau, a emboîté le pas au nouveau Premier ministre, Justin Trudeau. Ce dernier cherche en effet à insuffler optimisme et confiance dans l'esprit des Canadiens, entrepreneurs compris. Pour ceux qui travaillent dans le secteur des technologies propres, l'avenir s'annonce plus prometteur que jamais. Aux antipodes de la marque imprimée par le conservateur Stephen Harper ces dix dernières années – un développement économique faisant fi de la lutte contre le changement climatique et n'accordant qu'un intérêt limité aux technologies dites «vertes» –, Justin Trudeau veut se donner les moyens de bâtir, comme il l'a promis à la COP21 en novembre 2015, «une économie durable, fondée sur des technologies propres et des infrastructures et des emplois verts». Dans son premier budget, le Premier ministre prévoit d'investir 40,5 milliards d'euros sur dix ans dans les infrastructures, ciblant notamment les projets de transition vers une économie à faible émission de carbone et dont les «green tech», ces technologies qui permettent de réduire l'empreinte écologique des secteurs auxquels elles sont appliquées, sont le fer de lance. Les infrastructures électriques vertes (les plus prometteuses pour réduire les émissions polluantes) sont valorisées. L'octroi de 1,9 milliard d'euros sur cinq ans à des projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de qualité de l'air, d'assainissement des eaux et de décontamination des sols va également dans ce sens. 650 millions d'euros sur quatre ans seront par ailleurs octroyés au développement dans les secteurs forestier, de la pêche, de l'exploitation minière, de l'énergie et de l'agriculture. Manque de financement Le budget donne également un coup de pouce fiscal à deux secteurs émergents : l'alimentation des véhicules électriques et le stockage d'énergie. Sans compter le financement de 36 «projets novateurs», annoncé début mars par Navdeep Bains, le ministre de l'innovation, des sciences et du développement économique. «Le temps est venu pour les entreprises canadiennes de saisir leur part du marché mondial des technologies propres», soulignait-il alors. Si le gouvernement de Justin Trudeau se montre si volontaire, c'est que sur un marché mondial des technologies «propres» en pleine croissance (6 400 milliards de dollars de revenu total attendus d'ici à 2023 selon la Banque mondiale), le Canada est plutôt à la traîne. Dans les secteurs de la biomasse, des biocarburants ou des technologies de l'information notamment. Le pays se retrouve en meilleure position dans la gestion de déchets, les biocarburants, la capture et le stockage de carbone, les turbines à gaz naturel ou encore dans les secteurs des composants pour éoliennes ou systèmes photovoltaïques. Plus de 800 entreprises, en majorité des PME, irriguent ce secteur au Canada, réalisant un chiffre d'affaires de 7,8 milliards d'euros en 2015, pour moitié à l'exportation. De Vancouver à Montréal en passant par Toronto, les acteurs du milieu expliquent les difficultés pour le pays à aller plus vite par un manque de financement, surtout au stade du banc d'essai, une étape cruciale pour développer un produit avant de le commercialiser. «L'innovation ne se fait pas d'un coup de baguette magique. Il faut des capitaux et des investisseurs qui prennent des risques», lâche Cameron Lewis, président d'Hydrostor, une start-up torontoise. Celle-ci a développé un projet original de stockage sous-marin d'énergie solaire et éolienne par pression hydrostatique, puis construit une unité de démonstration sur l'île Ward, dans le lac Ontario, face au centre-ville. Le projet a été monté avec 10 millions d'euros d'investissement et «un bon soutien, depuis 2010, du gouvernement fédéral, de l'Ontario, de Toronto et du fournisseur d'électricité Hydro One». Sa cible première ? Les îles, à commencer par Aruba dans les Caraïbes, en 2017. «De l'idée au marché» Pour en arriver à cette solution de stockage d'énergies renouvelables deux fois moins onéreuses que des batteries au lithium, Hydrostor a reçu tout au début l'appui de MaRS, le plus gros incubateur de start-up torontois, qui accueille aussi dans ses murs des géants en quête de projets innovants comme Facebook, Autodesk ou Airbnb. Installé dans le Discovery District de Vancouver, sorte de Silicon Valley urbaine, MaRS possède son département «clean tech». Jon Dogterom, l'un de ses directeurs, croit dur comme fer que sans un accompagnement «de l'idée au marché» qui met l'inventeur en relation avec des chercheurs, des gestionnaires de programmes publics, des analystes de marché et des investisseurs, seules quelques-unes «des 300 entreprises de technologies propres nées depuis six ans grâce à MaRS auraient vu le jour». SolarShip est l'une de ces prometteuses sociétés. En cours de certification, son avion suscite déjà l'intérêt d'investisseurs chinois. Par l'entremise de MaRS, elle a bénéficié d'un bon réseau de consultants et d'investisseurs, ainsi que d'un accès aux programmes des gouvernements ontarien et canadien, comme celui des «Technologies du développement durable Canada». La société Morgan Solar a aussi profité de deux subventions de ce programme. En 2009 d'abord, pour les premiers tests de Sun Simba, un module photovoltaïque concentré (CPV) qui produit deux fois plus d'énergie solaire que des panneaux traditionnels. Puis en 2015, pour la construction d'une première usine de fabrication. «Le marché du solaire va exploser d'ici à 2020 », assure son vice-président, Nicolas Morgan. « Notre technologie est tellement bonne et peu chère que les Chinois vont bientôt nous copier», plaisante-t-il. Pas une raison de ne pas voir l'avenir en rose. La compagnie a plusieurs gros projets en cours, en Alberta (ouest du Canada) et au Moyen-Orient. M. Morgan déplore toutefois que «les banques canadiennes soient encore timides pour aider les start-up locales» souvent obligées d'aller chercher leurs capitaux à l'étranger. Incubateur municipal de «clean tech» «Cette mobilisation du capital est l'une des difficultés que nous avons au Canada», note également le ministre ontarien de l'Environnement, Glen Murray, qui estime toutefois que le gouvernement provincial joue son rôle. Après avoir investi massivement depuis 2005 dans les infrastructures, l'Ontario a adopté un plan de 39 milliards d'euros pour investir sur douze ans dans les transports en commun et les technologies propres. Vancouver, qui se considère déjà comme la «mecque» de l'économie verte au canada, veut devenir la ville la plus écologiste du monde en 2020 A l'ouest du pays, Vancouver veut devenir la ville la plus écolo du monde en 2020, devant Copenhague. Elle se considère déjà comme la Mecque de l'économie verte et des technologies propres. «Nous en sommes le leader canadien, attirant 28% des investissements nationaux dans la première et 25% dans les secondes», résume Bryan Buggey, directeur du développement à la Vancouver Economic Commission. La ville aura bientôt son incubateur de clean tech mais facilite déjà le travail des start-up en leur permettant par exemple de tester leurs innovations dans les infrastructures municipales. C'est le cas pour dPoint Technologies. Créée en 2004 avec une subvention de 4,5 millions d'euros du gouvernement canadien, la société est devenue une filiale du suisse Zehnder en décembre 2015. Elle figure au rang des 50 sociétés canadiennes ayant eu la plus forte croissance en 2014 et 2015 et détient le titre de meilleure exportatrice de Colombie-Britannique, la province de Vancouver. Baptisée ERV, sa technologie de membranes polymère récupère l'énergie à partir de piles à combustible et d'un échangeur d'humidité. «Installée dans le système de climatisation, explique le PDG de dPoint, James Dean, elle requiert peu de maintenance, est durable, robuste, capable de stopper les contaminants et surtout ultra-performante, pour récupérer 75% de la chaleur et de 45% à 65% de l'humidité d'un système de ventilation.» Aujourd'hui, l'entrepreneur vend ses modules ERV aux promoteurs immobiliers, aux aéroports, aux écoles et aux hôpitaux, de Toronto au Japon en passant par les Etats-Unis et l'Europe. Consacrant un quart de ses profits à la recherche et développement, la société met la touche finale à un quatrième type de membrane, plus performante et moins chère. La ligne de production sera prête dans six mois. M. Dean songe déjà à d'autres applications commerciales, pour le traitement de l'eau ou l'industrie du vêtement, la membrane ayant «des propriétés similaires au Gore-Tex». Une manne à venir ? A. P.