En 2007, un chef d'Etat européen traitait certains cadres de grandes entreprises publiques parmi les plus illustres de «patrons voyous». C'est vrai qu'il en avait les raisons, même si le procédé était vulgairement électoraliste. De grands ensembles industriels et économiques tombaient pratiquement comme carton-pâte ou vivaient les turbulences les plus graves d'après-guerre au moment où leurs patrons profitaient de ce qui est appelé «golden parachute» qui se chiffrait en millions d'euros. Mais la loi du marché étant ce qu'elle est, la justice étant ce qu'elle est, la pilule, après émotion, émois populaires, indignation des syndicats, des classes laborieuses, de celles politiques, passait tout de même. Il y a près d'une dizaine d'années, toutes proportions gardées et dans un contexte différent, des cadres algériens suspectés d'avoir mené à la banqueroute les entreprises qu'ils dirigeaient étaient mis en prison. L'Etat ou ceux qui avaient la charge de le représenter dans les différentes strates de l'administration fournissaient, à tort ou à raison, tous les arguments pour justifier l'embastillement de managers qui avaient jusque-là la réputation de premiers de la classe. Comble de l'ironie, ces mêmes cadres, si certains d'entre eux n'avaient pas eu le malheur de rendre vie dans les geôles, allaient être libérés, et heureux dénouement, blanchis et réhabilités. Au nom de quelle logique ? Difficile de l'affirmer ! En tout état de cause, ceux qui représentaient à nouveau l'Etat au sein de l'administration, et qui n'étaient pas forcément les mêmes, disposaient à leur tour d'un argumentaire en béton pour justifier leur élargissement. Dès lors, la question fondamentale qui se pose est la suivante : quelle est la politique de l'Etat en matière de désignation de cadres responsables à hauteur des entreprises publiques ? Quels sont les éléments d'appréciation, voire les critères qui font que c'est un tel qui n'a pas forcément les compétences mais fortuitement la gueule de l'emploi par rapport à un autre nettement plus outillé sur tous les plans ? Très souvent, si ce n'est en général, comble du paradoxe, «l'affaire» depuis le milieu des années 1990 ne tient à rien. La désignation à la tête d'une entreprise, quelle que soit son envergure, relève de l'entrisme du postulant, de relations personnelles, de ramifications familiales dans certaines sphères du pouvoir ou à sa périphérie, d'appuis politiques, de mécanismes claniques rodés. Quoi qu'il en soit et à l'exception d'entreprises économiques stratégiques, à l'image de Sonelgaz ou de Sonatrach, et souvent quelques-unes de leurs excroissances, le curriculum vitae pouvait ne pas revêtir grande importance. Et il est alors aisé de déduire que toutes les formes d'organisation qui ont prévalu jusque-là au sein des secteurs économiques, l'administration publique, l'organisation effective qui prévalaient dans les grandes entreprises algériennes ante 1990 sont tombées en caducité en même temps qu'est devenu désuet le parti politique qui régentait, qu'on le veuille ou non, la vie dans l'acception de tous les sens possibles. L'article 120, tant décrié, des statuts du Front de libération nationale, s'il véhiculait la réputation sulfureuse d'ostraciser à la tête de toute entreprise des cadres parmi les plus compétents mais sans affiliation politique n'en avait pas moins la faculté, en favorisant et en propulsant un autre (cadre), même moins qualifié mais parce que militant pur et dur, d'obtenir fusse de manière très relative de meilleurs résultats. Ce qui ne pouvait être obtenu en vertu d'une gestion rigoureuse, obéissant à la logique, l'était en celle d'une volonté politique et du rigorisme militant. Et ça ne tenait qu'à ça avant l'avènement de toutes les réformes post -88 engagées. Est-ce à dire que les conseils d'administration, les SGP, leurs hiérarchies centrales respectives ne sont là que pour faire tapisserie, donner le change à un semblant d'organisation, de structuration du secteur économique ? Chez l'Algérien lambda, lequel après s'être perdu en conjectures se répand en rumeurs, le pas est vite franchi en ce sens qu'il ne comprend pas, et c'est tellement légitime, que l'Etat puisse désigner des cadres, les remplacer et remplacer leurs remplaçants en l'espace de quelques semaines. Et si les hypothèses les plus farfelues, hélas souvent fondées, alimentent la rue, il n'en demeure pas moins certain qu'aucune affirmation qui viendrait conforter l'idée d'un management, de la présence d'une feuille de route dans la conduite de la gestion d'une entreprise, d'un cahier des charges auquel sont astreints les intronisés aux plus hauts postes des entreprises publiques, le contrôle effectif, l'obligation de résultats et enfin la sanction positive ou négative…ne tiendrait le chemin. Le fait de vouer aux gémonies des chefs d'entreprise ou de les envoyer en prison après gabegie n'est évidemment pas la solution si toutes les responsabilités ne sont pas situées… quels que soient leurs auteurs, leur statut et leur position sur l'échiquier national. A. L.