L'imitation de parfums, baptisés de noms de faiseurs de «Fashion», n'a plus de secrets pour ces jeunes algériens, qui semblent avoir découvert «la poule aux œufs d'or». Ils réussissent, en deux temps, trois mouvements, à vous concocter le parfum de votre choix et à moindre coût (entre 400 et 1 500 DA) Offrant aux passants des languettes, en papier, exhalant des senteurs agréables, ou osant, carrément, les asperger de parfums, de nombreux jeunes squattent, désormais, les trottoirs d'Alger-Centre, proposant des flacons remplis de fragrances, vantées en «copie fidèle» à des «griffes», mondialement renommées. La vivacité des gestes et leur talent de marqueteurs rappellent curieusement les parfumeurs (El Ataroune) d'antan. Ces fournisseurs de prestigieuse «riha» (parfum), un apanage de nobles et, occasionnellement, de mariées, faisaient la fierté des marchés et places publiques d'El Bahdja, une ville méditerranéenne conciliant, depuis la nuit des temps, traditions orientales et modernité occidentale. Marchands à la sauvette, prêts à esquiver les descentes surprises, ou commerçants attitrés occupant de luxueux locaux sur des rues aussi connues que Didouche-Mourad ou Hassiba-Benbouali, ces jeunes, qui remettent en vogue un métier enraciné dans la civilisation humaine, parviennent, grâce à un savoir-faire improvisé et à des qualités de vendeurs hors pair, à capter l'attention des plus hésitants, voire des plus «chiches» des acheteurs. Sapés comme des «Zazous», sourire de charmeurs, ces parfumeurs des temps modernes, usent d'un tact remarquable et d'une sympathie débordante pour aborder les passants d'horizons divers. Ils commencent par donner, gracieusement, à la «cible» une bouffée de senteurs en pressant, d'un geste fugace, le vaporisateur d'un flacon qu'ils tiennent, précieusement, dans la main, avant d'engager la conversation. Seuls les plus affairés ou les moins curieux échappent à cette opération de «séduction mercantile». La majorité des usagers abordés finissent par tomber sous le charme et se laisser entraîner à l'intérieur de la boutique pour y découvrir une interminable gamme de parfums aux couleurs vives, contenus dans de jolis bocaux en verre, soigneusement rangés dans des rayons en miroirs. L'imitation de parfums, baptisés de noms de faiseurs de «Fashion», n'a plus de secrets pour ces jeunes algériens, qui semblent avoir découvert «la poule aux œufs d'or». Ils réussissent, en deux temps, trois mouvements, à vous concocter le parfum de votre choix et à moindre coût (entre 400 et 1 500 DA). L'apprenti chimiste des Aurès... Natif de Batna, Mehdi, 25 printemps, est l'un des fameux parfumeurs de la rue Hassiba. Il s'est retrouvé, par pur hasard, «chimiste-fabriquant» d'essences de parfums. Il fut contraint d'exercer, pendant les années ayant suivi l'obtention d'une licence en droit, de «petits boulots», histoire d'échapper à l'emprise du chômage affectant beaucoup de ses compères. C'est lors d'une visite chez sa tante, établie à Alger, que Mehdi s'est vu proposer par un cousin le poste de vendeur dans un magasin de fabrication de parfums, alors qu'il ignorait même l'existence de ce genre de commerce en Algérie. Il accepta, sans hésitation. Cela fut une «aubaine» pour sortir de son village, culminant au milieu des Aurès et de s'installer dans la capitale. D'autant plus que sa tante s'était faite la joie de l'héberger. Mehdi, au regard espiègle et au teint blond, a rapidement pris goût à la confection de senteurs par un mélange d'extraits importés d'Europe, d'Asie et de pays du Golfe. Les encouragements de son patron, aussi jeune que lui, le poussèrent à mettre les «bouchées doubles». Il n'épargnait aucun effort pour gonfler les recettes, en sacrifiant les week-ends et en travaillant jusqu'à des heures tardives. Avant d'être promu «préparateur», Mehdi faisait le «rabatteur». Posté, à longueur de journée, au perron de la boutique, Mehdi, de nature timide, a appris, au fil du temps, la persuasion et l'art de la réclame. «Venez mesdames et messieurs. Approchez-vous. Et vous, jeunes filles et jeunes hommes, venez vous acheter des parfums de grandes marques à petits prix», dit-il, décontracté et souriant, à l'adresse des nombreux usagers de l'ex-rue «Sadi-Carnot», une des plus commerçantes de la cité de «Sidi Abderrahmane Ethaâlibi». Le départ de son collègue, en charge de la gestion et de la préparation des produits, qui avait réussi à décrocher un bail avec une compagnie pétrolière implantée dans le Sud, ouvrira la voie à Mehdi. Il parvient, enfin, à mettre la «main à la pâte» et à prendre du galon. Quelques semaines de pratique dans un autre magasin, appartenant à son employeur, lui ont suffit pour apprendre les rudiments du métier. L'«apprenti chimiste» retourne au bercail avec un savoir le propulsant au rang de «parfumeur en chef». Il fit la promesse à son «mentor» de garder jalousement le secret professionnel et de veiller à préserver une activité très rentable, dans un environnement hautement concurrentiel. Concurrence déloyale Les bénéfices engrangés par la vente de parfums de confection artisanale attirent, de plus en plus, les marchands à la sauvette. Libres de toute obligation fiscale ou autres charges, ces commerçants d'occasion écoulent des produits faits en l'état, dont les composants et la provenance sont généralement méconnus. Le «hic» réside cependant dans le manque de savoir-faire et l'absence de bonne conduite, dont font montre certains marchands illégaux, qui activent en meute, entravant ainsi la circulation des gens et créant du désordre. Contrairement aux propriétaires de magasins, dont l'image de marque et la réputation exigent une décence du comportement, les «clando» s'adressent aux passants sur un ton peu agréable, à la limite de l'agressivité. Khaled, un trentenaire possédant une série de magasins spécialisés et un des pionniers de l'activité en Algérie, ne cache pas sa «crainte» de voir un métier qu'il «aime tant» se «pervertir» à cause des pratiques indécentes de pseudos parfumeurs. «Je suis pour que les jeunes accèdent en grand nombre à cette activité et apprennent un métier que je considère comme un trésor. Mais ce commerce exige, comme tout autre travail basé sur les relations publiques, un comportement irréprochable», a-t-il confié. Plaidant la cause de ses semblables, Fateh, un marchand informel, rencontré à Bab El-Oued, a tenu, quant à lui, à faire le «distinguo» entre les jeunes qui vendent des articles dans la rue pour «faire vivre honnêtement leurs familles» et ceux qui, à temps perdu ou pendant les vacances scolaires, s'improvisent «commerçants» pour faire l'«intéressant». «Si nous avions les moyens de louer des locaux à Alger-Centre ou même en banlieue, nous ne serions pas obligés de vendre notre marchandise sur les trottoirs et prendre le risque de se faire arrêter et traîner devant les tribunaux», a confié cet orphelin qui dit avoir quitté les bancs de l'école pour subvenir aux besoins de ses deux jeunes sœurs. APS