Le document est explosif et les preuves accablantes. En effet, des documents secret-défense français publiés par un quotidien populaire parisien révèlent l'étendue des retombées radioactives des essais nucléaires français dans le Sahara algérien dès 1960. De 1960 à 1961 : 4 essais aériens à Reggane ; de 1961 à 1966 : 13 essais souterrains à In Ecker. Et la carte des dégâts fait vraiment froid dans le dos. Classée secret-défense par l'armée française durant des décennies, elle vient d'être déclassifiée dans le cadre de l'enquête pénale déclenchée par des vétérans des campagnes d'essais nucléaires français en Algérie, puis en Polynésie dans les années 1970. Pour la première fois, le grand public découvre l'étendue précise des retombées radioactives des essais réalisés dans le Sahara. Sur la carte, les mesures de l'armée française montrent que les rejaillissements ont recouvert tout le Maghreb et même le Sahel. On constate ainsi que treize jours après le tir de la première bombe aérienne, la sinistrement fameuse Gerboise Bleue, des conséquences radioactives atteignent même les côtes espagnoles et recouvrent la moitié de la Sicile ! Pourtant les documents secret-défense français assurent que les doses étaient «généralement très faibles» et sans conséquences. Il est vrai que les normes prudentielles de l'époque étaient beaucoup moins strictes que maintenant, mais les progrès de la médecine ont démontré depuis que même de faibles doses peuvent déclencher, dix, vingt ou trente ans plus tard, de graves maladies. Autre terrifiante découverte, les militaires reconnaissent qu'à certains endroits les normes de radioactivité ont été largement dépassées : à Arak, près de Tamanrasset, où l'eau a été fortement contaminée, mais aussi dans la capitale tchadienne N'Djamena. Il est désormais admis que la carte du zonage des conséquences de Gerboise Bleue indique clairement que certains radioéléments éjectés par les explosions aériennes, tel l'iode 131 ou le césium 137, ont pu être inhalés par les populations malgré leur dilution dans l'atmosphère. Et, sauf à être de mauvaise foi, nul n'ignore aujourd'hui que ces éléments radioactifs sont à l'origine de cancers ou de maladies cardio-vasculaires graves. Cependant, aussi graves que soient ces nouvelles révélations, elles ne constituent en fait qu'une part de la triste réalité. Car pour l'instant, l'armée française n'a communiqué que des archives soigneusement triées, dans lesquelles il manque des pans entiers de données. Il faudrait donc réformer juridiquement l'accès à ces informations pour améliorer le processus de déclassification. Reste donc la question essentielle à poser : la France devra-t-elle un jour indemniser les populations algériennes et subsahariennes ? On sait que le sujet demeure une grosse épine diplomatique entre l'Algérie et la France. A plusieurs reprises, l'Algérie, c'est-à-dire le plus souvent des voix semi-officielles ou non autorisées, avait menacé la France de rétorsions, mais sans aller jusqu'au bout. Et si l'Etat algérien n'a pas encore bougé, la société civile, elle, s'est emparée du dossier. Des juristes et des avocats participent régulièrement à des colloques pour faire reconnaître l'impact des essais nucléaires en Algérie. Il faudrait désormais une action commune avec nos voisins de l'Afrique subsaharienne. Il est évident que seule une action africaine concertée, appuyée par l'action officielle des Etats de la région pourrait obliger la France à payer un jour ou l'autre, inéluctablement, l'addition salée de Gerboise Bleue. N. K.