Une courte majorité de Colombiens a rejeté l'accord de paix négocié avec la guérilla et signé six jours plus tôt. Contre tous les pronostics, le non à l'accord de paix négocié avec la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, extrême-gauche) a gagné le référendum du dimanche 2 octobre en Colombie. Appelés aux urnes, les Colombiens ont refusé, par une courte majorité (50,2%), de valider le texte signé entre le gouvernement et les Farc. Négocié pendant quatre ans à La Havane, le document avait été paraphé six jours plus tôt, à Carthagène des Indes, par le président Juan Manuel Santos et le chef des Farc, Rodrigo Londono, alias «Timochenko». Il prétendait mettre fin à un conflit long d'un demi-siècle. «J'ai honte de mon pays», sanglotait Patricia, 23 ans, dans la fraîcheur du soir. Drapeaux blancs au bout du bras, les partisans du oui, descendus dans la rue pour fêter la victoire, ont écouté les résultats dans un silence consterné. En province, dans les villages martyrisés par les années de guerre, les gens sont rentrés chez eux, apeurés. «Triste jour pour une nation», a résumé sur Twitter le juriste Rodrigo Uprimny. En début de soirée, un premier message des Farc est tombé, rassurant. La guérilla fait savoir que la paix reste à l'ordre du jour. «Les Farc réitèrent leur disposition à utiliser les mots comme arme pour construire le futur, a déclaré Timochenko. Le peuple colombien qui rêve de paix peut compter sur nous. La paix triomphera.» Deux heures plus tard, le président Santos a confirmé, à la télévision, que le cessez-le-feu bilatéral, entré en vigueur le 29 août, n'est pas remis en question. La guerre ne reprendra pas ses droits. «Je ne me rendrai pas et continuerai à rechercher la paix», a-t-il dit, appelant toutes les forces politiques du pays à un grand dialogue national pour «décider du chemin à suivre». L'invitation vise l'ancien président Alvaro Uribe (2002-2010), le grand gagnant de la journée. M. Uribe, qui n'a cessé de critiquer les négociations de paix engagées par son successeur, avait en effet pris la tête de la campagne pour le non, en reprochant au gouvernement d'avoir trop cédé à la guérilla et en exigeant une renégociation de l'accord. Les Farc et le gouvernement la jugeaient «impossible». Le résultat du scrutin change évidemment la donne. «La paix dépend désormais de ce qui sera négocié entre ces ennemis jurés que sont Alvaro Uribe et les Farc», avance Alvaro Forero, un analyste. Sachant que M. Uribe veut envoyer les chefs des Farc en prison, la renégociation s'annonce difficile. Paradoxalement, M. Uribe et les Farc demandaient depuis des années, et pour des raisons différentes, une Assemblée constituante. Elle est désormais à l'ordre du jour. M. Uribe rêve de pouvoir se présenter à un troisième mandat, les Farc voudraient inscrire leurs revendications dans la Constitution. «Nous voulons contribuer à un grand pacte national», a déclaré M. Uribe dimanche soir, sans accepter clairement la main tendue par M. Santos. L'abstention (62,6%) a été encore plus forte qu'à l'accoutumée. L'ouragan Matthew et les inondations ont compliqué les déplacements sur la côte caraïbe (acquise au oui). Par ailleurs, les partis politiques et les élus n'ont pas mobilisé leurs électeurs comme ils le font quand leurs intérêts personnels sont en jeu. Il faut, dans certaines régions, payer le bus des électeurs pour qu'ils puissent voter. «Alvaro Uribe a fait une campagne populiste en jouant de la haine des Farc, qui est vive dans le pays, et de la peur du futur», explique M. Forero. L'ex-président a réussi à convaincre une partie des Colombiens que l'accord ouvrait les portes du pouvoir aux Farc. «Il est pourtant cent fois plus probable de voir les Farc devenir néolibérales que de voir le pays voter communiste», ironisait le professeur de philosophie Luis Gama. La signature de l'accord de paix, le 26 septembre, avait été l'occasion de montrer le soutien inconditionnel de la communauté internationale. «Mais le discours du chef des Farc, qui s'est posé en vainqueur, a probablement joué contre le oui», estime Hector Rincon, un autre analyste. Deux jours avant le scrutin, le pape François a apporté son soutien au président Santos en déclarant qu'il se rendrait en Colombie «une fois l'accord de paix approuvé». Mais l'Eglise catholique colombienne, elle, avait refusé de se prononcer en faveur du oui. Et les pasteurs évangéliques ont fait campagne pour le non. Les gestes de bonne volonté des Farc sont arrivés tardivement. Toute la semaine, les commandants de la guérilla ont multiplié les initiatives sur le terrain, pour demander pardon à leurs victimes. Samedi, ils ont détruit 620 kg d'explosifs, en présence de la mission de l'ONU déployée pour superviser le cessez-le-feu et la mise en application des accords. Ils ont publiquement promis de réparer financièrement leurs victimes et de rendre tous les biens mal acquis. Tout cela n'a pas suffi. Quelle est la valeur juridique de l'accord de La Havane ? Que va-t-il advenir de la mission de l'ONU ? Quelle est la marge de manœuvre du président Santos, fragilisé par cette défaite ? La Colombie entre dans une période d'incertitude. A la veille du scrutin, l'ex-président Cesar Gaviria déclarait : «Alvaro Uribe ne veut pas de cette paix parce que ce n'est pas lui qui l'a négociée.» Reste à souhaiter qu'il puisse en négocier une autre. M. D In lemonde.fr