Voilà un Suisse qui aura été bien digne de la plus haute distinction de l'Ordre du mérite national et d'une rue ou d'un bel édifice à son nom, tant il aura mérité de l'Algérie ! Lui, c'est Charles-Henri Favrod qui vient de casser sa pipe à 90 ans. Lui, c'est cet immense humaniste, homme de toutes les appétences culturelles, historiques, géopolitiques, et avant tout humaines. Lui, c'est ce grand Monsieur qui fut journaliste, reporter de guerre, écrivain, historien, directeur de collections aux Editions suisses Rencontre, fondateur et directeur du célèbre Musée de l'Elysée dédié à la photo à Lausanne, producteur de portraits de tant d'hommes politiques, mais encore esthète et collectionneur passionné. Il fut notamment un immense journaliste. Grand reporter pour la Gazette de Lausanne ou pour la radio, il avait fait le tour de la Méditerranée en 1952 et est devenu un fin connaisseur du Maghreb et du Sahel. Il fut surtout, pour nous Algériens, un des artisans du succès des Accords d'Evian pour lesquels il joua un rôle d'entremetteur discret et de facilitateur efficace. Mais en fait, quel rôle précis a donc joué Charles-Henri Favrod ? «Je n'ai jamais été un porteur de valises ou de messages secrets comme on m'en a soupçonné», s'amusait-il alors, lui qui avait déjà réalisé ses premiers reportages en Algérie en 1952. Il nouera au fil du temps de nombreux et étroits contacts avec les nationalistes algériens. Il voit ainsi Tayeb Boulharouf, installé en 1956 à Lausanne pour y créer une antenne du FLN. Il rencontre Saad Dahlab dans son rôle de ministre des Affaires étrangères dans le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), venu soigner à Crans-Montana une tuberculose contractée durant la bataille d'Alger. Il y a aussi Ahmed Ben Bella, avec qui il partageait la passion du football et la «lecture du journal L'Equipe». De même que Hocine Aït Ahmed, plus intellectuel, «qui lisait Le Monde». Et tant d'autres. En 1956, il réalise pour la Gazette de Lausanne la première interview donnée par Ferhat Abbas, qui deviendra Président du GPRA. «Je suis à cette époque un journaliste très résolu à ce que la France sorte de ce guêpier, disait-il, mais je ne veux pas comme beaucoup me promouvoir en go between […], ce que je peux apporter, c'est un rapport privilégié». Et c'est ce «rapport privilégié», avec les deux parties en conflit, qui lui permettra de faire renouer le contact après le cuisant échec de Melun. Charles-Henri Favrod, qui connaît bien Pierre Racine, le chef du cabinet du Premier ministre Michel Debré, se voit alors prié de faire savoir officieusement aux responsables du FLN que les Français seraient disposés à renouer le contact. Le tournant des années 60-61 est alors crucial. Les Français sont appelés, le 8 janvier 1961, à accepter par référendum l'autodétermination de l'Algérie. «A ce moment précis, explique l'historien suisse Damien Carron, on observe de très intenses activités, des deux côtés, destinées à établir le contact. Le rôle de Charles-Henri Favrod s'inscrit dans ce contexte-là». Février 1961, le journaliste est à Genève aux côtés de Saad Dahlab, sur les quais de la gare, pour accueillir Claude Chayet, membre de la délégation française auprès de l'ONU. La petite troupe se retrouve à l'Hôtel d'Angleterre. Et, miracle, entre les deux hommes, «c'est le dégel absolu». Chaleureux, Dahlab s'écrie: «Ah, M. Chayet, les deux mains plutôt qu'une», se souvenait Charles-Henri Favrod. Chayet et Dahlab seront des acteurs décisifs car indispensables à la reprise des contacts en automne 1961, après l'échec du premier Evian. Et Charles Henri Favrod y fut pour quelque chose ! Le président de la République, qui connait bien le parcours du facilitateur suisse et sa contribution militante à la Révolution algérienne, serait peut-être sensible à l'idée de l'honorer chez nous, en Algérie. En immortalisant son nom, d'une manière ou d'une autre. Et ce ne serait là, que l'expression du strict minimum de la gratitude algérienne. N. K.