Nous y consacrons deux articles, le présent et le suivant : Le jeûne de Ramadan selon le Coran et en Islam.[4] Cette pratique revêt une grande importance dans la vie religieuse des musulmans, tant par la rigueur qu'elle implique que par la perception spirituelle d'une telle ascèse. Plus encore que la prière, le jeûne de Ramadan met en jeu un double aspect de la religiosité : la participation collective sociétale, dimension pleinement horizontale du fait religieux, et l'engagement individuel du jeûneur, dimension pleinement verticale de l'acte de foi. Notons que cette double composante est retrouvée pour le cinquième piler : le Pèlerinage. Ainsi, en « jeûnant Ramadan », le musulman est-il en phase avec sa communauté, état de communion interpersonnelle, réalité simple qui ne doit pas lui faire perdre de vue que le Jeûne est de même une démarche purement spirituelle, état de communion mystique. Tout comme nous l'avons fait pour la Prière, entre poids de l'obligation et sincérité de l'élan de foi il est donc attendu que nous nous interrogions quant au point de vue coranique concernant le caractère obligatoire ou non du jeûne de Ramadan. Enfin, nous rappellerons que le jeûne de Ramadan a pour particularité d'être consacré à la célébration du Coran, ce qui sans nul doute est la clef intrinsèque de l'ouverture spirituelle. Que dit l'Islam En tant que pilier/rukn, le jeûne de Ramadan est pour l'Islam une obligation/farḍ divine incombant aux musulmans. À partir de ce caractère obligatoire, l'Islam a prévu de nombreux aménagements eut égard à la difficulté physique que représente un jeûne d'un mois. En sont donc classiquement exemptés les enfants, les malades, les femmes enceintes et les vieillards ainsi que de manière provisoire les voyageurs. Par ailleurs, le Droit islamique a produit une importante littérature exposant les nombreux points de détail que la casuistique musulmane a générés quant à la pratique de ce jeûne, nous renvoyons donc le lecteur à ce vaste corpus. Ce qui retiet notre attention est d'un autre ordre puisque, plus encore que pour la prière, se pose la question de l'équilibre entre obéissance à ce que l'on considère comme une obligation et l'élan spirituel profond que suppose la pratique du jeûne compris en tant que creuset potentiel de l'expérience mystique. Cependant, comme nous avons pu démontrer que l'obligation de la prière est en réalité une prescription de l'Islam et non pas du Coran, il est attendu qu'il en soit de même pour "Ramadan". Entre collectif et électif, rituel et spirituel, comment le Coran articule-t-il donc cette problématique ? Que dit le Coran Dans le Coran, toute l'information concernant la pratique du jeûne de Ramadan fait l'objet d'un unique chapitre : S2.V183-187. Ce traitement thématique d'un des linéaments coraniques du proto-islam est rare dans le Coran et l'on peut supposer qu'il témoigne en cela de l'institution de l'introduction d'une pratique parfaitement nouvelle pour les musulmans.[5] Il en découle directement que les informations nécessaires à la mise en œuvre de ce Jeûne sont exposées en ce chapitre et qu'elles sont suffisantes. En cet article, la réponse à la question précédente nécessite que nous analysions uniquement les vs183-184.« Ô vous qui croyez ! Il vous est prescrit le Jeûne, comme il fut prescrit à ceux qui vous précèdent, puissiez-vous pieusement craindre ! » – V183 [6] Par l'interpellation « ô vous qui croyez » le Coran s'adresse ici aux croyants musulmans, hommes et femmes, sans distinction, puisque la formulation employée est de genre neutre.[7] Conséquemment, l'ensemble des remarques et règles qui vont être édictées concerna les unes comme les autres, et ce n'est point ce que le Droit musulman soutiendra.[8] C'est à partir du segment « il vous est prescrit/kutiba le Jeûne, comme il fut prescrit/kutiba à ceux qui vous précèdent » que l'Islam a décrété que le jeûne de Ramadan est une obligation religieuse instituée par Dieu. Si nous devions comprendre là que le verbe kataba signifie prescrire au sens d'impératif divin, il aurait fallu que cela fût aussi un ordre de même nature pour « ceux qui vous précèdent » puisqu'il est bien dit « comme il fut prescrit/kutiba à ceux qui vous précèdent ». Or, s'il en est bien ainsi pour le judaïsme, il n'en est pas de même pour le christianisme. En effet, selon la Thora, le jeûne de Yom kippour, jeûne de 25 heures, est « une loi perpétuelle »[9] et il s'agit du seul jeûne obligatoire, d'autres jours de jeûne existent mais sont facultatifs. Par contre, aucun verset du Nouveau Testament ne mentionne un jeûne obligatoire alors que de nombreux autres incitent au jeûne en tant que pratique purificatrice et spirituelle, pour les chrétiens jeûner est donc un acte surérogatoire et non pas une obligation.[10] Ce simple constat interreligieux permet donc d'affirmer que selon le sens que l'Islam confère à ce verset il est faux de déclarer que le jeûne « est prescrit/kutiba comme il fut prescrit/kutiba à ceux qui vous précèdent », juifs et chrétiens différant sur ce point. Aussi, à moins de supposer que le Maître de la Révélation ne connaisse pas les religions auxquelles il est fait ici référence, le verbe kataba ne peut-il signifier prescrire au sens où l'Islam l'entend : c'est-à-dire une obligation, mais conserve sa signification originelle : recommander, inviter à.[11] Notons que si le christianisme avait donc défait le formalisme juridique judaïque, l'Islam l'a réintroduit à son propre compte, procédé et ligne de conduite que l'on retrouve de manière régulière en la construction de l'Islam. Il ne s'agit point là de spéculations et le verset à suivre va confirmer le caractère non-obligatoire du jeûne de Ramadan. – V184 : « Des jours comptés, mais qui de vous est malade ou en voyage, alors détermination de jours autres. Et, quant à ceux qui l'auraient pu, leur incombe un rachat : la nourriture d'un pauvre. Et, qui de plein gré accomplit un bien, c'est un bien pour lui, mais jeûner est meilleur pour vous, si vous le saviez ! » [12] Après avoir indiqué que pour « qui de vous est malade ou en voyage » il est possible de jeûner à une date ultérieure les jours non jeûnés du fait de ces difficultés, il est alors précisé que cette autorisation ne concerne que ceux qui ont décidé d'accomplir le jeûne de Ramadan. En effet, le segment-clef « quant à ceux qui l'auraient pu/'alâ–l–ladhîna yuṭîqûna-hu, leur incombe un rachat » est explicite et se comprend comme signifiant : « ceux qui pourraient malgré tout jeûner, mais ne le font pas, alors « rachat : la nourriture d'un pauvre », ce qui représente de facto une licence accordée à qui ne voudrait point jeûner alors qu'il est en mesure de la faire. Dr al Ajamî