Il faisait un temps chaud, ce jeudi 25 juin 1998. Une tension était perceptible dans le ciel lourd de la ville de Tizi Ouzou. Et soudain, une information avait provoqué chez tous une panique indescriptible : à 13 h 30 min, le chanteur kabyle le plus populaire du moment était assassiné par balle à Tala Bouinane, à quelques kilomètres de la ville des Genêts, sur la route de Beni Douala, sa région natale. Il était accompagné de sa femme, Nadia, et de ses deux sœurs. Elles sont toutes les trois vivantes. Cela fait exactement onze années jour pour jour. Si le chanteur rebelle est enterré quelques jours après sa mort dans l'une des cérémonies funèbres les plus émouvantes et certainement la plus impressionnante de l'Algérie indépendante, les auteurs et les raisons de son assassinat ne sont toujours pas connus. Mais une chose est sûre : le chanteur engagé reste une icône pour des générations de jeunes et de moins jeunes et sa popularité n'a jamais fléchi malgré le poids des ans. Plus que cela, Matoub est devenu, en l'espace de quelques années, un mythe.Mais, comment un chanteur a-t-il suscité autour de lui autant de sympathie et de popularité ? En réalité, la popularité de Matoub n'est pas fortuite. Car, dès sa tendre enfance, ce natif de Taourirt Moussa, à Beni Douala, un 26 janvier 1956, avait déjà montré des signes de rébellion. C'est ce qu'il raconte dans son livre autobiographique, le Rebelle, édité en 1995. Sa prise de conscience identitaire a commencé tôt. Très tôt même. Au collège déjà, il avait commencé à s'intéresser à tout ce qui touche à la revendication identitaire. Au même moment, Lounes Matoub découvrait sa passion artistique. C'est ainsi qu'il enregistra son premier album, Ad cnugh ifennanen (je chante les artistes) en 1978. Le jeune artiste y rend hommage à quatre de ses aînés : Slimane Azem, Cheikh El Hasnaoui, Idir et… Lounis Aït Menguellet. Un premier album et un premier succès. D'autres suivront à un rythme effréné, le plaçant toujours en haut des hit-parades, réussissant à lui faire un chemin malgré la présence de l'indétrônable Aït Menguellet. «Ula d nek tegla yissi, taluft n tuber t-teqqes» (Même moi, je n'étais pas épargné par la douloureuse affaire d'Octobre) avait chanté l'artiste, dans Regard sur l'histoire d'un pays damné en 1991. Il aborde, bien entendu, le soulèvement d'octobre qui marque un tournant dans la vie et l'œuvre de Lounes Matoub. Le poète, qui était en mission de distribution de tracts appelant au calme à Aïn El Hammam, avait été blessé par 12 balles tirées par un… gendarme.Un autre événement tragique avait marqué la vie du Rebelle. En octobre 1994, Matoub était enlevé par un groupe terroriste à Takhoukht, à mi-chemin entre Tizi Ouzou et les Ouacifs. C'était en pleine crise. Puisque, en plus des attentats terroristes qui faisaient rage dans le pays –le chanteur venait d'éditer un album intitulé Kenza, en hommage aux intellectuels assassinés-, la Kabylie était en pleine grève de cartable. Mobilisation générale de la population et de la classe politique. Après trois semaines de captivité, l'aède est finalement libéré. Parti en France, il ne tarda pas à revenir sur la scène publique avec un livre, le Rebelle.Malgré sa mort, ses portraits, stèles et statues ornent les quatre coins de la Kabylie, et au-delà. «Xas yedja ldjehd ighallen-iw, mazal sewt-iw a-d ibaâzeq, a-s-d slen…», (Même si mes forces sont affaiblies, ma voix se fera entendre, partout), chantait-il au début des années 1990. Un poète peut-il mourir ? A. B.