Cela fait 29 ans que l'Algérie a connu ses premières manifestations politiques publiques. Des manifestations qui ont donné naissance à ce qui est communément appelé le Printemps berbère. Au fil des années, cet anniversaire devient beaucoup plus une date commémorative, où le folklore prend le dessus, qu'un rendez-vous politique. En tout cas, pas ce qu'il était il y a seulement quelques années.Avant de parler du présent, un petit rappel des faits s'impose. Nous sommes, en effet, en mars 1980. Les étudiants du centre universitaire de Tizi Ouzou décide d'organiser une conférence avec l'écrivain Mouloud Mammeri autour de son dernier livre intitulé Poèmes kabyles anciens. Après des jours d'attente, la réponse des autorités universitaires est catégorique : niet. Cela suffit largement pour mettre le doigt sur une blessure qui n'est jamais guérie. La tension monte. Les étudiants s'organisent. Ils établissent des contacts et décident de faire l'impossible : sortir dans la rue. C'est chose faite. Pour la première fois depuis l'indépendance, des jeunes Algériens sortent dans la rue. Et à Alger. C'était le 7 avril 1980. Les jeunes –en majorité des étudiants- commencent à crier «libertés démocratiques» et à brandir leurs banderoles. Peu nombreux, ils seront vite dispersés par la police. «On n'était pas habitués aux bombes lacrymogènes», se souvient l'un de ces manifestants. Ce n'est que partie remise. Les étudiants occupent le centre universitaire de Tizi Ouzou et sortent dans la rue. La ville est paralysée par une grève générale. C'est le statu quo. Jusqu'à cette nuit fatidique du 19 au 20 avril. L'armée, mobilisée depuis les wilayas environnantes, pénètre dans la cité universitaire de Oued Aïssi. Les étudiants sont tirés de leur sommeil. Certains sont déshabillés, d'autres tabassés. Pis, des étudiantes auraient même été violées. En somme, une véritable terreur qui a inspiré à Lounes Matoub une de ses belles chansons : Yehzen l'oued Aïssi. Dans la foulée, 24 animateurs du Mouvement culturel berbère (MCB) sont arrêtés. On y trouve Saïd Sadi, Saïd Khelil, Arezki Abbout, Djamel Zenati et tant d'autres. Ils constitueront, durant des années, l'ossature d'une classe politique naissante. S'ensuivent alors de violentes manifestations. A Tizi Ouzou, d'abord. Mais la colère gagne toute la Kabylie : Azazga, Boghni, Akbou, Tazmalt et tant d'autres localités connurent alors un vent de colère indescriptible. Les interventions de Chadli Bendjedid (il prononça la fameuse phrase «nous sommes des Berbères arabisés par l'islam») et du ministre de l'Enseignement supérieur de l'époque, Abdelhak Brerehi –devenu opposant après l'ouverture politique- n'ont pas réussi à ramener le calme. Les 24 sont libérés fin mai. Le calme est certes revenu, mais précaire. Car, malgré le retour à la normale, le mur de glace qui séparait la Kabylie du pouvoir s'est renforcé davantage. Les années qui ont suivi n'ont pas changé la donne. Chaque commémoration de ce triste anniversaire donnait lieu à une vague de protestations, y compris durant les années du parti unique. La charnière de ce parcours est sans doute l'année scolaire 1994-1995. Plus radical, le Mouvement culturel berbère (entre-temps scindé en deux tendances, avant la création d'une troisième en 1995) déclenche une grève du cartable. Résultat : les élèves de Kabylie ont perdu une année de leur parcours scolaire. Les négociations menées entre le MCB et le pouvoir ont abouti, en avril 1995, à la création du Haut-Commissariat à l'amazighité (HCA, promulgué par un décret présidentiel datant du mois de mai 1995), l'introduction de tamazight dans les trois cycles de l'éducation nationale et la citation de tamazight comme un des piliers de l'identité nationale dans le préambule de la Constitution de 1996.Résultats mitigés, diront certains. Mais l'acquis est considérable malgré l'importance des sacrifices consentis. Parce que «tamazight di lakul» (la langue amazighe à l'école) est un slogan devenu réalité à partir de cette date, malgré les insuffisances. Matoub et les morts des printemps noirs… Ce sont justement ces insuffisances qui ont conduit au soulèvement meurtrier qui a suivi l'assassinat du chanteur Matoub Lounes le 25 juin 1998. L'attentat, qui a causé la mort de trois jeunes, a remis au goût du jour la revendication identitaire. La frustration s'est cependant exacerbée trois ans plus tard, lors d'un évènement qui a plongé la Kabylie dans une violence sans précédent, en dehors du terrorisme. Les rumeurs les plus folles circulent en ce printemps 2001. Mais l'irréparable arrive en cette belle journée du 19 avril. Une patrouille de gendarmerie interpelle un jeune lycéen à Béni Douala, l'emmène de force dans la brigade et… un gendarme tire sur lui une dizaine de balles. Massinissa Guermah, qui deviendra l'icône de ce qui est appelé «le printemps noir», tombe sur le coup. Consternation, condamnation et, soudainement, la situation tourne à la révolte. Les manifestations prévues pour le lendemain afin de commémorer le Printemps berbère tournent à l'émeute. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, une autre étincelle va mettre le feu aux poudres et embrasera toute une région trois ans durant. Trois jeunes collégiens sont interpellés et humiliés par des gendarmes, le 21 avril, à Amizour (Béjaïa). C'est donc l'escalade. Aux tirs de bombes lacrymogènes, les jeunes répliquent par des cocktails Molotov. Les scènes d'émeutes deviennent ordinaires. Mais les choses ont pris une tournure dramatique quand des gendarmes ont utilisé des munitions de guerre et tiré à balles réelles sur des manifestants qui ne disposaient que de pierres et de cocktails Molotov. Toujours est-il que le bilan est très lourd : 126 jeunes sont tués et des milliers blessés. Aux partis politiques se sont substitués des comités de village et de quartier appelés par la suite les archs. tamazight est entrée dans la Constitution comme deuxième langue nationale. Les parents des victimes sont indemnisés. Et la boucle est bouclée.Mais, depuis ces évènements –les plus longs et plus sanglants- la revendication identitaire a pris du recul. Du moins sur le terrain politique. Dans la réalité, en revanche, d'autres acquis ont suivi. Le dernier a été la création d'une chaîne de télévision en tamazight. On parle d'une académie de recherche et probablement d'autres choses encore. Mais la revendication principale, à savoir «tamazight langue nationale et officielle» reste insatisfaite. A. B.