«Ça fait une éternité que je n'ai pas lu de livre. Entre le boulot, les enfants et toutes les corvées et charges quotidiennes, il est impossible de trouver un moment pour la lecture. Et quand le soir on se met au lit, on est si fatigué qu'on ne pense qu'à dormir…» A quelques nuances près, cette réponse est revenue dans la bouche de toutes les personnes, adultes, à qui nous avions demandé ce qu'elles lisaient en ce moment. Et c'est la réponse qu'aurait faite la majorité. Pour les jeunes et les enfants, c'est encore pire : il y en a qui n'ont jamais ouvert un livre, autre que ceux pédagogiques. Une personne lisant dans un bus, sur un banc public ou dans un jardin est une image qu'on ne voit plus en Algérie depuis bien longtemps. Le concept «livre de chevet» a disparu du langage des Algériens et la lecture dirigée et illustrée a quitté l'école algérienne. On ne se bouscule pas aux portes des librairies et, des places, il y en a à en revendre dans les bibliothèques, contrairement aux cybercafés où il faut faire la queue pour en avoir une. Le clic de souris a remplacé le geste de tourner la feuille. La page Web a remplacé la page livre. Elle est le nouveau support et vecteur du texte. Il est vrai qu'il est plus aisé de lire un texte sur écran, et moins cher. Mais de là à dire qu'Internet est la première cause du recul de la lecture en Algérie serait aller trop vite en besogne. Car il y a belle lurette que les Algériens ont tourné le dos au livre, bien avant la socialisation du micro-ordinateur. Les parents ont depuis longtemps perdu l'habitude de lire des histoires à leurs petits enfants ou de les encourager à le faire quand ils sont plus grands. La lecture n'a qu'une toute petite place dans les programmes scolaires surchargés. L'école qui est censée éveiller l'intérêt de l'enfant à la lecture et lui révéler les trésors que recèle le livre, qui a la responsabilité de compenser la défaillance des parents, a oublié sa mission et ne s'occupe plus que du bourrage des petites têtes avec des programmes ne laissant aucune place ni à la découverte, ni aux jeux ou à l'éducation artistique. Dès lors, l'enfant n'a d'autres recours que d'aller vers les programmes télévisés. Et de la télé au micro-ordinateur, il n'y a qu'un pas qu'il aura vite franchi. Ainsi, la boucle est bouclée et le livre est exclu de son monde. Quant à l'y ramener, c'est une autre question dont la réponse ne peut être formulée qu'à travers une politique du livre impliquant tous les secteurs et les acteurs concernés, ministères de la Culture et de l'Education, pédagogues, parents, éditeurs, libraires, bibliothécaires… Il s'agira de se mettre au chevet du livre pour lui redonner une nouvelle vie et la place qui lui revient dans la maison et dans l'éducation. H. G.