De notre correspondant à Annaba M. Rahmani «C'est l'anarchie totale, on ne peut même plus passer. Ce n'est pas possible. Où est-ce qu'on va comme cela ? lance un passant. Où est l'Etat ?» Sur les lieux –le marché El Hattab- c'est une véritable marée humaine qui a envahi tous les espaces. Ça grouille de monde en ce début d'après-midi en plein mois de Ramadhan. Bousculades, gesticulations, nerfs à fleur de peau, altercations et bagarres sont fréquents et, souvent, on en vient aux mains pour un rien. Il faut dire qu'au niveau de ce marché, l'un des plus anciens et des plus fréquentés d'Annaba, il n'y a plus d'espace même pour passer et aller d'un marchand à un autre. Les petits passages censés faciliter la circulation des clients se sont réduits et il ne reste qu'un petit couloir étroit qu'empruntent des centaines de personnes dans les deux sens. Les passages sont squattés par les revendeurs de pois chiches trempés, de fines herbes (coriandre, persil, céleri) et feuilles de diouls auprès desquels se sont installés ceux qui vendent un peu de tout : tablettes de chocolat, rasoirs jetables, produits de nettoyage et autres articles. «Ce n'est plus un marché de fruits et légumes, nous dit un père de famille. El Hattab s'est transformé pour devenir un fourre-tout. C'est un vrai capharnaüm, des commerces hybrides où la conserve est mélangée aux produits frais. On vient pour des légumes et des fruits et on sort avec du riz, des olives assaisonnées, du beurre, du sucre ou de l'huile. C'est entré dans les mœurs, maintenant on l'accepte et on fait avec.» Il y a une vingtaine d'années, ce marché, et tout le monde le reconnaît, était un exemple en matière d'ordre et d'organisation. Les étals étaient bien approvisionnés, les espaces définis et rien ni personne ne venait bousculer cet ordre ou le remettre en cause. La grande poubelle où étaient déposés les déchets était vidée une fois par jour, généralement le soir à la fermeture et tout le marché sentait l'hygiène et la propreté. Ce qui est incompréhensible, voire inadmissible, c'est qu'au lieu de veiller à l'amélioration de cet espace vital pour les habitants en y intégrant de nouvelles commodités, on a laissé la situation se dégrader au fil des ans pour atteindre, aujourd'hui, le fond. Les légumes pourris traînent un peu partout et sont écrasés par les milliers de clients qui passent. Les eaux utilisées par les vendeurs stagnent et forment avec la poussière et les déchets une sorte de boue noirâtre qui dégage des odeurs nauséabondes. Les gens s'en trouvent incommodés et essayent malgré tout de faire rapidement leurs courses pour quitter les lieux. De nos jours, le marché tient beaucoup du bidonville avec tout ce que cela suppose comme saleté, désordre et risques sur la santé et la sécurité. Une image du chaos De l'extérieur, ledit marché offre une image désolante, il «déborde» en tout : marchandises de toutes sortes, saleté et ordures, espaces très étroits et, bien sûr, des bagarres où parfois l'arme blanche entre en jeu. Dimanche dernier, lors de notre passage, nous avons été témoin d'une dispute entre deux jeunes dont l'un a sorti un grand couteau de cuisine et s'est mis à courir derrière l'autre. Panique parmi la foule, chacun essaye de fuir les lieux. Hommes et femmes se pressent contre les étals pour échapper à la furie homicide de cet énergumène. Puis, intervention de certains parmi les revendeurs pour calmer le triste individu. Les agents de police en faction devant l'entrée principale et ceux en civil à l'intérieur ne sont pas intervenus, préférant regarder ailleurs et surveiller les nuées de revendeurs qui ont envahi les alentours. Ces derniers «établis» et dont on ne peut plus dire que ce sont des vendeurs «à la sauvette» ont tout accaparé, même les chaussées, pour étaler leurs marchandises sans se soucier le moins du monde de la circulation. Le marché d'Annaba–centre, construit du temps de la colonisation, tient mieux le «coup» comme on dit. Il dispose d'une superficie couverte assez grande et les étals sont disposés de façon à faciliter le passage des gens. Seulement, là aussi, ces passages sont obstrués par des vendeurs qui se sont installés au milieu en ne laissant qu'une petite bande de part et d'autre. Marchés ou dépotoirs La question d'hygiène est la même, les ordures règnent en maître absolu. La la saleté est incrustée partout, sur les sols, sur les étals, sur les escaliers aux entrées et même sous les arcades. Les marchés de Djabanet Lihoud, 8 Mai 45, l'Elysa, La Menadia ou la Seybouse sont dans un état proche de l'abandon. Etals transformés en boutiques, armatures en bois vermoulu renforcé par des plaques de tôle rouillées, des immondices qui traînent, des «fruits» et des «légumes» exposés n'importe comment et sans aucun respect pour les conditions d'hygiène… Dans tous les marchés cités, cette situation perdure depuis des années malgré «les mesures coercitives» adoptées et exécutées le temps d'une campagne, puis on revient à la case départ et le même phénomène reprend «ses droits». Parler de contrôle dans ces conditions n'est pas une sinécure. Les agents de l'Etat, particulièrement ceux du bureau d'hygiène de la commune, essayent de faire leur travail en dressant des P-V et en proposant la fermeture administrative de ces locaux ou étals. Durant la première semaine du mois de Ramadhan, 21 P-V ont été transmis et attendent d'être exécutés. Mais les lenteurs administratives et les interventions de «responsables» et d'amis, il y a fort à parier que la plupart resteront lettre morte. Ce qui porte un coup au sérieux aux contrôles opérés et à la crédibilité des agents qui font leur travail malgré tout. A la question sur l'état de ces marchés que la commune est censée gérer, M. Bensaïd Abdallah Nabil, président de l'APC d'Annaba, dira qu'une enveloppe de cinq milliards de cts a été dégagée pour la réhabilitation de ces espaces et que les procédures sont en cours. Côté direction de la concurrence, des prix, du contrôle de la qualité et de la répression des fraudes, les brigades mixtes sillonnent les marchés et procèdent à la saisie des marchandises avariées ou non conformes. Mais cette activité indispensable pour la protection de la santé publique se trouve faussée par les centaines de vendeurs dans les rues, incontrôlables ceux-là, puisque relevant de l'informel, qui continuent à vendre leurs marchandises d'origine douteuse, la plupart du temps, impropre à la consommation. Lors de notre incursion dans ces marchés, nous avons ouï-dire que le wali compte «nettoyer» tout cela après le Ramadhan pour libérer les trottoirs et les rues et les rendre aux piétons et aux automobilistes. Mais tout le monde sait, ici à Annaba, que ce sera une énième campagne… Sans lendemain.