Pour leur troisième soirée, lundi dernier, les premières Journées cinématographiques d'Alger (JCA) ont frappé fort avec l'Enfant de Kaboul, premier long métrage du réalisateur Afghan Barmak Akram. Le film projeté à la salle Cosmos, à Riadh El Feth, a fait grosse impression sur les spectateurs, des gens du cinéma dans leur majorité. Un enfant grimpe une colline et se saisit au passage de la douille d'un obus. Arrivé au sommet, il la jette en contrebas comme on lance une grenade au loin et regarde avec ses petites mains en jumelles Kaboul étalée au pied de la colline. L'enfant joue à la guerre. Le décor est ainsi planté. Quand les enfants jouent à la guerre avec un tel réalisme, c'est qu'elle vient juste de passer. La caméra fait une plongée. Zoom sur une place d'où s'élève un concert d'avertisseurs auquel se mêle le vrombissement de voitures antédiluviennes et les bruits de la ville. La caméra portée s'embarque aux côtés d'un chauffeur de taxi. C'est Khaled. Il discute avec un client. La discussion tourne sur Kaboul et la vie dans la ville à moitié en ruine. «C'est le seul feu rouge qui fonctionne dans toute la ville […]. Mais on est mieux que du temps des talibans», dit Khaled à son invisible client qui réplique : «Dieu nous en préserve… je descends ici.» Khaled se range et pendant qu'il rend la monnaie, une femme en tchadri bleu avec un bébé dans les bras lui demande de la conduire dans le quartier du bazar. Il refuse au début, à cause du tchadri «qui peut cacher un terroriste», dit-il, et de la somme qu'elle lui propose avant de céder. Le client qu'il embarque à sa place après l'avoir déposée lui fera remarquer bien plus loin qu'il devrait faire attention aux nombreux nids-de-poule pour ne pas secouer son fils. Khaled n'en revient pas. Profitant qu'il était occupé à marchander avec le client, la femme en tchadri s'est éclipsée en laissant son bébé sur le siège arrière du taxi. Commence alors une véritable épopée urbaine dont les héros sont les personnages truculents d'une ville exsangue qui n'est sortie d'une guerre que pour entrer dans une autre plus assassine, avec ses attentats terroristes, ses barrages et ses lendemains incertains. Mais des ruines envahissantes émergent quelques îlots d'espoir comme tous ces chantiers de constructions, ce jeune étudiant en médecine que Khaled embarque gratuitement ou cette jeune mère célibataire (elle a 16 ans) en tchadri bleu qui, après tout un périple que Khaled entreprendra pour la retrouver, revient récupérer son bébé. C'est d'ailleurs la dernière image du film. La caméra portée monte en colonne. Elle cadre le taxi emmenant la mère et la femme de Khaled qui, l'espace de trois jours, a été une véritable maman pour ce petit garçon que Kaboul lui a donné, qu'elle a même allaité et qu'elle aurait tant voulu adopter pour qu'il soit le garçon que Dieu ne lui a pas donné. Le film se termine sur une touche douce-amère qui est en fait le ton général du film qu'on classera dans le genre néoréaliste. La présence d'acteurs non professionnels, le décor authentique, le tournage en caméra portée et les dialogues «très simples et vrais» confèrent à l'Enfant de Kaboul un réalisme éblouissant, qui frise le documentaire. «Sans être franchement drôle, le ton de mon film est assez cocasse. Ce n'est pas exactement une comédie, mais il y a un regard amusé et bienveillant, très humain et un peu distant. Je voudrais parler de The Kid de Chaplin. La comparaison ne tient pas qu'au sujet : il y a bien quelque chose de commun dans le regard porté», avait confié le réalisateur à un magazine spécialisé.Auteur de nombreux documentaires sur la culture afghane, Barmak Akram n'est pas seulement cinéaste, il est également plasticien, musicien, interprète et compositeur. Akram a d'ailleurs écrit des textes de chansons pour Mathieu Chédid qui, de son côté, a participé à la composition de la bande originale de L'Enfant de Kaboul. Réfugié politique, il est arrivé en France en 1981. Il est diplômé de la FEMIS, des Beaux-Arts de Paris et des arts décoratifs. H. G.