Les écrits d'Isabelle Eberhardt sont d'un «grand intérêt» anthropologique car ils permettent de mieux connaître la vie des Algériens à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, a estimé Ali Nabti, un spécialiste des arts folkloriques et de la culture à Naama. Au cours d'une conférence organisée mercredi dernier en marge de la semaine culturelle de Naama à Constantine autour de la vie de cette journaliste et écrivaine, décédée il y a 105 ans à Aïn Sefra, dans la wilaya de Naama, M. Nabti a fait redécouvrir au large public le riche itinéraire de cette femme qui fut mariée à un Constantinois de Sidi Mabrouk. «Contrairement aux écrits des orientalistes et des écrivains français de l'époque qui ont visité et écrit sur l'Algérie, Isabelle Eberhardt avait pris la peine de connaître la langue du pays dont elle avait également embrassé la religion», a affirmé le spécialiste pour qui les écrits d'Eberhardt, loin de tout exotisme de mauvais aloi, avaient valeur de «témoignage de l'intérieur» puisqu'elle s'était intégrée dans la société algérienne et vivait en parfaite symbiose avec les Algériens de souche dont elle avait partagé le quotidien et les traditions, et compris les croyances. Même s'il est presque établi que certains de ses écrits ont été «tripotés» par Baricand, rédacteur en chef de la Dépêche algérienne, dernier employeur d'Eberhardt auquel avaient été remis les manuscrits récupérés après la mort par noyade de la jeune femme, ceux-ci évoquaient les Algériens de l'intérieur et avec une sensibilité et un regard autrement plus vrais que ceux des écrivains visiteurs de l'époque, a indiqué le chercheur. Le parcours de l'auteur d'A l'ombre chaude de l'Islam prend également une grande importance aujourd'hui où il est question de dialogue des civilisations, relèvera Ali Nabti pour qui «les allégations d'espionne que l'on a essayé de coller à cette femme au caractère trempé, ne résistent pas à une saine analyse et ne sont étayées par aucune preuve». Selon cet universitaire, si Isabelle Eberhardt avait collaboré avec l'administration coloniale, celle-ci lui aurait accordé une grande place dans les archives de l'époque. Or, tel n'est pas le cas. Les archives se rapportant à cette personnalité sont classées au rayon «vagabondage» à Aix-en-Provence et le livre Lettres du Sud oranais qui reprend les lettres du général Lyautey (en poste à l'époque dans la région de Aïn Sefra) ne réserve que deux lignes à Isabelle Eberhardt qui y était décrite comme une grande «réfractaire». Par ailleurs, poursuivra M. Nabti, l'administration coloniale qui avait déjà, bien avant l'arrivée d'Eberhardt dans la région, compilé des enquêtes très minutieuses sur la région du Sud-Ouest algérien, n'avait nullement besoin des services de cette reporter de guerre qui y avait débarqué pour interviewer les blessés de la Légion étrangère lors de la guerre de résistance populaire menée par Cheikh Bouamama. Passant en revue les nombreux auteurs qui ont publié des ouvrages sur le personnage d'Isabelle Eberhardt, l'universitaire citera, entre autres, Edmonde Charles-Roux, notamment son livre intitulé Isabelle du désert, Mohamed Rochd, Aïcha Kassoul, Simone Rezzoug et Khelifa Benamara. Il a également émis le souhait de voir les cinéastes et scénaristes algériens s'intéresser au personnage et à la vie d'Isabelle Eberhardt qui «se prête merveilleusement» à un scénario de film. Avec une pointe de regret, M. Nabti rappelle à ce propos que des kilomètres de pellicule ont été consacrés à Isabelle Eberhardt, mais toutes l'ont été à l'étranger, et parfois dans des pays très lointains comme l'Australie.