Le cinéaste algérien Ali Akika a présenté dans la soirée de mercredi dernier au Centre culturel algérien à Paris son dernier documentaire, Isabelle Eberhardt, la féerie de l'errance, consacré à cette auteure et journaliste suisse, qui a vécu de longues années dans le Sud algérien, à la fin du XIXe siècle. Dans cette œuvre, Ali Akika est parti sur les traces de celle qui se faisait appeler «Si Mahmoud» et parcourait les contrées du grand Sud, «déguisée» en homme, à la recherche d'une paix intérieure qu'elle trouva en se convertissant à l'islam et en fréquentant les zaouïas d'El Oued, d'Aïn Sefra et de Kenadsa. Ali Akika a découvert cette femme «rebelle, qui transgresse tous les tabous en vigueur à cette période», à travers une pièce de théâtre qui lui été consacrée. Il contacta alors l'académicienne du Goncourt, Mme Edmonde Charles-Roux, auteure d'une biographie en deux tomes de Isabelle Eberhardt, pour en savoir plus sur cette dernière et écrire son scénario. Le film est une illustration en images d'extraits de textes, à travers lesquels Isabelle Eberhardt décrit les paysages qui l'ont marquée, tels le souk d'Aïn Sefra, des scènes de la vie quotidienne dans la Casbah d'Alger, des visites dans le mausolée de Sidi Abderrahmane Thaalibi et dans la zaouïa de Sidi Brahim à Kenadsa. Le cinéaste, s'appuyant sur des commentaires de nombreux spécialistes et biographes, a essayé de cerner la personnalité de cette femme qui, en butte avec la société européenne conservatrice, trouvera son «équilibre» parmi la population autochtone et avec Slimane, un sous-officier algérien engagé dans l'armée française, qu'elle épousera. Ali Akika a aussi abordé cette thèse qui fait d'Isabelle Eberhardt, à tort ou à raison, une espionne au service de Lyautey, le commandant de la région d'Aïn Sefra. Selon la biographe d'Eberhardt, la relation entre les deux personnes s'expliquait par l'intérêt littéraire que portait le militaire français aux écrits d'Eberhardt. «Lyautey était un admirateur d'Eberhardt. C'est lui qui a donné l'ordre de récupérer, page par page, le manuscrit d'Eberhardt emporté par l'oued en crue. C'est grâce à lui que l'œuvre de cette femme nous est parvenue», a-t-elle indiqué, au cours du débat qui a suivi la projection du film. Mais les doutes persistent. De récents travaux universitaires montrent que cette femme, qui sillonnait le pays, était effectivement au service de Lyautey. Ali Akika a toutefois fait abstraction du contexte de l'époque, c'est-à-dire, au moment où le colonisateur s'était bien établi après avoir brisé par le feu et par le fer tous les mouvements de résistance et les révoltes populaires. Le documentaire donne ainsi une image tronquée de l'histoire algérienne pour présenter celle idyllique de cette Suissesse d'origine russe.