Les tabous ont la peau dure, nous le savions bien… Mais, dans notre société, ils continuent à structurer «dramatiquement» les rapports sociaux. Bon gré mal gré, il n'est toujours pas bon d'aborder certains phénomènes brûlants. Et même si aujourd'hui la jeunesse tente de s'émanciper par une révolution des mœurs, la chape de plomb pèse toujours sur les mentalités. En conséquence, les jeunes ont fini par adopter l'adage de Molière : «Ce n'est point pécher que pécher en silence» ! Et ben oui, puisque l'habit ne fait pas le moine, en cachette, en catimini et loin du regard moralisateur et du carcan familial, on se laisse aller à nos désirs. En quête d'amour et de sensations fortes, les jeunes explorent subrepticement, à l'abri du conservatisme de notre société, l'univers sulfureux du sexe et la volupté de la chair. Ce n'est un secret pour personne, nos jeunes sont loin d'être des coincés, des refoulés ou des complexés recroquevillés sur eux-mêmes. Dans les grandes villes du pays, un pan important de la génération du chat et des SMS s'adonne aux amours secrètes et aux tentations de la libido. Dans ce contexte, une société juvénile «souterraine» s'est créée ces dernières années avec ses propres codes et ses comportements spécifiques. Dans les jardins ou les forêts, les appartements, ‘‘diki'', dixit les jeunes, où les hôtels, les jeunes «couchent» et laissent leurs corps se blottir les uns contre les autres. Ceci dit, détrompons-nous, nous ne sommes pas là face à une révolution sexuelle, car il s'agit surtout d'un exutoire à travers lequel les jeunes noient leur détresse. Incompris, marginalisés et rejetés par une société régie par les interdits et les non-dits, nos jeunes réagissent par une explosion sexuelle, notent les sociologues à ce propos. Et dans cette explosion, des dérives sont constatées et des tendances dangereuses prennent des proportions alarmantes. Tel le cas de l'avortement clandestin qui ne cesse de faire des dégâts dans notre pays. Notre société, qui n'accepte ni la liberté sexuelle ni un statut digne pour les mères célibataires, se retrouve alors désarmée face aux avortements clandestins. Ces derniers augmentent dramatiquement et les médecins estiment à ce sujet qu'il y aurait en Algérie en moyenne trois avortements clandestins pratiqués chaque jour ! Une récente enquête a même prouvé que, en Algérie, pour 100 naissances on enregistre près de 11 avortements. Et la plupart sont, bien entendu, des avortements clandestins. En dépit de la législation, à travers les articles 304, 305 et 306 du code pénal, qui pénalisent l'acte d'avortement et citent les personnes pouvant être incriminées, sauf dans le cas où l'avortement est indispensable pour sauver la vie de la mère en danger et qui est ouvertement pratiqué par un médecin ou un chirurgien après avis de l'autorité administrative, l'avortement clandestin est un phénomène dont on n'arrive toujours pas à endiguer. Autre phénomène à relever : l'hyménoplastie. Cette opération qui permet la reconstruction naturelle de l'hymen sans traces visibles, suscite une discrète polémique dans notre pays. Et pour cause, aujourd'hui, rien que dans les environs de la capitale, nombreuses sont les cliniques de chirurgie esthétiques qui accomplissent ce genre d'opérations sous le volet «chirurgie intime». Cependant, les médecins spécialistes montent au créneau pour signaler que ces interventions, qui connaissent une expansion sans précédent en Algérie, se réalisent souvent dans une totale clandestinité eu égard au contexte social conservateur, à la valeur accordée à a virginité et au tabou qui entoure toujours la sexualité dans notre société. A cet effet, le conseil de déontologie médicale a indiqué que les conseils régionaux des wilayas ont reçu récemment des dizaines de réclamations portant sur des cas d'hémorragie sévères suite à des opérations de réfection de l'hymen opérées en toute clandestinité dans des cliniques et des cabinets privés. En ce sens, des témoignages vibrants nous sont parvenus. «Je n'ai aucun regret. Si je ne me suis pas refaite l'hymen, ma vie serait foutue en l'air. Jamais ma famille ou mon futur mari n'aurait accepté l'idée que je ne suis plus vierge avant mon mariage. C'est quelque chose de sacré dans notre société. Moi, j'en ai vraiment souffert. J'ai passé des nuits blanches car je trouvais horrible qu'on réduise ma dignité à une membrane. Et puis lorsque j'ai réussi à trouver un médecin pour opérer, je me sentais vraiment souillée. J'ai eu l'impression qu'on m'a charcuté. Aujourd'hui encore, je n'arrive pas à me relever de cette épreuve», raconte Amel, 26 ans, le visage larmoyant et les mains tremblantes. Des filles comme Amel, elles sont légion selon les aveux mêmes du médecin. La sacralité de la virginité dans notre société pousse ses filles qui ont «fauté par amour» dans les cabinets clandestins des chirurgiens de «l'intimité». Selon nos investigations, pour 30 000 DA, on se refait l'hymen et pour 40 000 on avorte. N'est-ce pas là le tribut de notre hypocrisie sociale ? A. S.