Photo : La Tribune Par Hassan Gherab L'idée était d'une simplicité enfantine. Il était question d'inviter un artiste peintre, un poète et des musiciens qui travailleraient là, dans rue, à côté de l'institution culturelle désertée par le public, sur le vif, en symbiose, chacun inspirant les autres. Le live ne peut qu'attirer l'attention des badauds qui entoureront les artistes et deviendront dès lors un public. Les artistes n'auront plus qu'à entraîner ces spectateurs vers l'intérieur du bâtiment où le spectacle continuera suivant un programme défini. Et le tour est joué : l'institution fera le plein. Il ne restera plus à la direction qu'à fidéliser ce public «improvisé» en lui donnant rendez-vous pour de prochaines activités. Mais le responsable de cette institution dont nous tairons le nom n'a pas joué le jeu. Il invoquera pour justifier son refus le problème des autorisations, des services de sécurité, qu'il faudra avoir au préalable pour organiser un spectacle de rue, qui peut être assimilé à un rassemblement public, interdit par la loi en vigueur. Ça se défend. Mais ce directeur aurait pu faire l'effort de tenter le coup, d'autant plus que les artistes étaient prêts et ne demandaient que ça. La même idée a été soumise à une artiste peintre, avec une variante. On lui avait proposé d'organiser son exposition dans les abattoirs d'Alger et alentour, suivant un chemin tracé dans les différents chantiers de démolition. L'objectif était d'utiliser l'art pour sauver les bâtiments des abattoirs d'Alger qui, comme tout le vieux quartier datant de l'époque coloniale, sont promis à la démolition pour être remplacés par des immeubles de bureaux et des tours modernes. Or, ces abattoirs peuvent, et devraient, être préservés. Réaménagés, ils pourront être transformés en centre des arts qui abriterait une galerie d'exposition, une bibliothèque, une salle de spectacle, voire, peut-être, un petit théâtre et une salle de projection. Ces bâtiments deviendraient un «îlot» dans le futur nouveau quartier où ils émergeront grâce à leur architecture d'époque qui les distinguera dans la débauche de verre et de béton environnant. L'artiste est enchantée de mettre son art au service de l'art et adhère à l'idée sans la moindre hésitation. Mais elle ne tardera pas à déchanter. Avec une administration érigée sous le signe du document en triple exemplaire avec signature légalisée, c'est une tonne de paperasseries et d'autorisations qu'il faut avoir pour le happening le plus anodin. Et notre artiste ne les aura pas. Donc pas d'exposition ni de manifestations en dehors du cadre «institutionnel». Mais avoir une galerie, une salle de spectacle, un théâtre ou un cinéma, n'est pas non plus aisé. Ce n'est pas du tout cuit, bien au contraire. Car, en plus de la nécessité d'avoir un statut administratif (personne morale) pour pouvoir organiser une quelconque manifestation, il faut aussi des autorisations et, surtout, des finances, car il faut payer rubis sur l'ongle. Les montages financiers n'ont pas encore touché l'activité culturelle qui est, en revanche, belle et bien mise sous carcan par une administration ne faisant aucune différence entre une quelconque activité commerciale et une activité culturelle. Pis, on peut vendre n'importe quoi dans la rue sans aucune autorisation et sans se faire importuner, mais on ne peut organiser un happening sans risquer de gros problèmes… La culture devra-t-elle devenir informelle pour pouvoir se libérer des entraves bureaucratiques ?