De notre envoyée spéciale à Cannes Dominique Lorraine Bien que Catherine Deneuve ne rêvât pas étant jeune d'une carrière dans le cinéma, contrairement à sa sœur Françoise, l'aînée des quatre filles Dorléac, elle est une des actrices les plus populaires et a tourné avec les plus grands cinéastes. En 1964, Catherine Deneuve est l'héroïne des Parapluies de Cherbourg, la comédie musicale enchantée du sensible Jacques Demy, succès public et Palme d'or à Cannes. Puis, parmi d'autres, Répulsion de Roman Polanski et Belle de jour (1966) du maître Luis Buñuel avec qui elle tournera également l'étrange Tristana. Dirigée par de grands réalisateurs italiens comme Mauricio Bolognini et Marco Ferreri (Liza avec Marcello Mastroianni, le père de sa fille Chiara), l'actrice rencontre en 1969 François Truffaut qui fait d'elle sa Sirène du Mississippi. Puis «le cinéaste qui aimait les femmes» lui offre en 1980 un de ses plus beaux rôles, celui d'une comédienne au tempérament passionné dans le Dernier Métro. Le film est un triomphe et vaut à l'actrice un César en 1981. La même année, dans Hôtel des Amériques, elle est Hélène, premier des cinq personnages de femmes à la fois volontaires et vulnérables que lui écrira Techiné, son nouveau réalisateur fétiche (Ma saison préférée, Les temps qui changent). Au cours de cette magistrale carrière, Catherine Deneuve travaille aussi avec les talents les plus singuliers du cinéma français, de Léos Carax à Arnaud Desplechin (Rois et Reines) en passant par François Ozon (8 femmes), et avec des cinéastes étrangers de grand renom, Manoel de Oliveira et Lars von Trier. En 2007 déjà, elle est présente à Cannes avec deux long métrages : Persepolis, un film d'animation en compétition auquel elle prête sa voix et Après lui de Gaël Morel, dans lequel elle incarne une mère brisée par la mort de son fils. Dans Un conte de Noël d'Arnaud Desplechin, où elle est Junon, l'épouse de Jean-Paul Roussillon, la mère d'Anne Consigny, de Mathieu Amalric et Melvil Poupaud, qui viennent avec leurs conjoints respectifs, Hippolyte Girardot, Emmanuelle Devos et Chiara Mastroianni (tous excellents), et leurs enfants, fêter Noël. Sous la tranquillité apparente des retrouvailles, la grande maison familiale de Roubaix (ville de son enfance) devient vite un «nœud de vipères», les querelles et les secrets de famille éclatant au grand jour. Tous les enfants ont des vies perturbées à cause d'un lourd passé : un enfant, leur frère, mort d'un lymphome bien qu'un autre enfant ait été conçu dans l'espoir qu'il pourrait sauver son frère par une transfusion, mais qui n'était pas compatible. Junon (dans la mythologie romaine, reine des dieux et du ciel), sorte de mater familias, règne sur cette maisonnée agitée, tout en affrontant une maladie qui risque de l'emporter. Elle forme avec Abel, selon la Bible celui qui garde le troupeau (magnifique Jean-Paul Roussillon), un couple solide et complice. Le trublion de toujours, Henri, prénom d'origine germanique signifiant «maison» et «roi», (l'excellent Mathieu Amalric), qui est le seul donneur possible pour sauver sa mère, sème encore une fois la zizanie et permet ainsi à l'abcès de crever. «La famille, c'est parfois difficile de faire avec, mais on ne peut pas faire sans. C'est le cœur de tout, le lieu de tous les drames de notre vie. C'est là que tout se noue, que tout se joue», dit Catherine Deneuve. Arnaud Desplechin n'a pas son pareil dans le choix et la direction des acteurs, et dans le choix pensé des prénoms qui incarnent les personnages. Une scène savoureuse réunit d'ailleurs Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni, mère et fille dans la vie, dans la fiction, belle-mère qui déteste sa belle-fille parce qu'elle lui a pris son fils préféré (Melvil Poupaud au meilleur de sa forme). Toujours virtuose dans sa façon de filmer et inventif, Arnaud Desplechin joue avec es plans invraisemblables qui donnent sa dynamique à ce superbe film. Dans Je veux voir, Catherine Deneuve, qui incarne son propre rôle d'actrice, parcourt le Liban lors de la guerre menée par les Israéliens en 2006, en compagnie de l'acteur libanais Rabih Mroué. Plasticiens et cinéastes, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sont nés en 1969 à Beyrouth où ils vivent et travaillent. Ils écrivent et réalisent en 1999 leur premier long métrage de fiction Al Bayt el zaher (Autour de la maison rose), puis en 2005 A perfect day. Auteurs d'installations au sein de galeries ou d'institutions, ils s'intéressent aussi à l'émergence de l'individu dans des sociétés communautaires, au rapport à l'image et à la représentation, à la difficulté de vivre un présent et d'écrire l'Histoire. «J'ai eu envie de répondre à la demande de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige qui voulaient filmer une relation qui se construit dans ce pays en ruine. Une trace, une évocation d'un monde menacé. Un témoignage, voilà. Les Libanais ont une nature formidable. Ils sont en sursis depuis longtemps, mais ils ont une force d'espoir et de vie incroyable. Je n'ai pas eu peur, parce que l'équipe était extrêmement solide, sérieuse et organisée. Même s'il y avait toujours un danger latent, j'ai eu beaucoup de temps pour regarder, observer, ce qui est mon rôle. Nous avions un synopsis, mais pas de dialogue écrit. Tout est improvisé. J'espère beaucoup que ce film sera vu et fera parler du Liban. Malheureusement, les événements lui redonnent une triste actualité», explique Catherine Deneuve. Si l'on découvre, au cours d'une longue déambulation en voiture, un Liban mutilé, avec des immeubles détruits et des tonnes de gravats qu'il faut recycler (ils sont amenés sur la plage, débarrassés de leurs armatures en fer, concassés et jetés à la mer), le périple de l'actrice paraît un peu vain. Dans ce monde inconnu d'elle, elle paraît un peu déplacée et ses conversations dans la voiture avec Rabih Mroué ne dépassent pas le stade de la banalité. Mieux vaut retenir le courage d'une actrice et la volonté des réalisateurs de faire partager leurs peines pour un pays sans cesse détruit. Après le Festival de Cannes, Catherine Deneuve enchaîne avec un nouveau film avec André Téchiné où elle interprétera cette fois le rôle de la mère d'une jeune fille mythomane.