L'écrivain franco-algérien Ahmed Kalouaz a publié, il y a quelques mois, aux éditions du Rouergue, son dernier roman, Avec tes mains, une œuvre autobiographique favorablement accueillie par la critique littéraire. Après avoir publié plus d'une vingtaine de livres, nouvelles, romans, pièces de théâtre et livres pour la jeunesse, l'écrivain du Gard offre à lire un pur bijou littéraire. Un roman familial qui brosse le portrait d'Abd El Kader, un émigré algérien installé à Grenoble avec sa famille, au début de l'année 1952. Ce père de famille, ancien tirailleur dans l'armée française, n'a fait que trimer dans des conditions frisant l'esclavage. Toute une vie vouée au labeur, au détriment de sa vie familiale. Ses enfants ? Il est comme ses compatriotes : départ matinal, musette à l'épaule et retour entre jour et nuit, fourbu. L'auteur a voulu nous montrer, à travers ce roman intimiste, un pan de l'histoire coloniale et postcoloniale de l'Algérie et de la France. Le chemin de croix emprunté par ces émigrés qui n'ont que la force de leurs bras. Abd El Kader lutte dans son exil pour survivre, pour ses enfants. Une vie durant. Comment pouvait-il prendre du bon temps avec ses enfants, dans ces cas-là ? Impossible. Il réussit quand même à élever sa progéniture cahin-caha. Mais honnêtement. Dans un monologue-dialogue avec son père, l'auteur des Lampadaires du parc dit : «Vous voilà revenus un demi-siècle en arrière, incapables de comprendre l'histoire des hommes. Les assassins de l'ombre t'enlèvent tes dernières illusions, cette illusion du retour si longtemps entretenue. Te voilà condamné à attendre derrière ta fenêtre […] et à subir la lente dérive des mois.» Les histoires littéraires issues des littératures des immigrations sont souvent touchantes, poignantes et teintées de nostalgie. Parfois, une fracture, une tranche de vie douloureuse, un cheminement personnel déchirant se restitue en merveille littéraire, écrite à la manière de catharsis par son auteur. Les douleurs, les souffrances, les chagrins, le manque de repères pour une génération prise entre ses origines et ses aspirations à suivre le cours de la modernité et ses sirènes. C'est le cas d'Ahmed Kalouaz, avec son dernier-né Avec tes mains, un beau roman avec un jeu d'interpellation entre «je» et «tu», long échange fictionnel, puisque le père et le fils n'avaient jamais eu de réelle et sérieuse conversation. Un père enfermé dans son monde d'adulte dont le seul souci était d'assurer la pitance et un toit à sa nombreuse famille. Jamais un dialogue ne s'est pratiquement établi entre eux, à telle enseigne que le rejeton ne sait rien de son père. Sauf peut-être qu'il est fruste et taciturne. L'écrivain Ahmed Kalouaz a un travail à accomplir : écrire l'histoire de son père, un hommage posthume à ce paternel qu'il aborde avec tant de tendresse et de douceur, retraçant l'enfance et la jeunesse de son père émigré en France. H. H. Avec tes mains, d'Ahmed Kalouaz, roman, 110 pages, éditions du Rouergue, France, 12 euros.