Photo : S. Zoheir Par Fella Bouredji Le simple fait d'évoquer la question des «parkingueurs» qui ont pris d'assaut depuis quelques années les rues d'Alger suffit pour faire naître les débats les plus passionnés. Les automobilistes s'en plaignent ou les prennent en affection. Ils les traitent de racketeurs ou de petits voyous. Les chômeurs désœuvrés les envient et trouvent injuste qu'ils s'approprient un bout de trottoir qui n'est pas censé leur appartenir. Les petites bourses véhiculées les maudissent et quelques âmes généreuses les blanchissent. «Ce sont des jeunes à qui la société refuse tout mais qui se battent quand même pour se rendre utiles et exister», expliquent quelques -nes d'entre elles. Même les piétons non concernés par le phénomène ont leur avis à donner sur la question. « Si ça permet de canaliser l'agressivité de ces jeunes et n de nous balader tranquillement, tant mieux», s'exclament-ils. C'est sûr, à les entendre parler de ces parkings improvisés dans la majorité des rues de la capitale, bien des choses sur l'évolution de la vie sociale des Algériens se dévoilent, leur capacité à s'organiser dans le désordre et des jeux de rôles qu'ils se plaisent à incarner en l'absence de tout contrôle pour mieux s'en sortir. La motivation ne leur manque pas quand il s'agit de gagner de l'argent, Alger étant une ville de plus en plus chère, et les envies et besoins des jeunes grandissant à mesure que la société tend vers une modernité qui leur est inaccessible. C'est aussi, simplement une question de survie pour certains, de moyens de payer leurs vices pour d'autres. Quoi qu'il en soit, de l'argent il en faut toujours et plus on en a et mieux c'est. Le phénomène des parkingueurs révèle, sous un certain angle, le rapport que les jeunes entretiennent avec l'argent, autant que les nombreux disfonctionnements qui foisonnent dans notre société où la débrouillardise devient le maître mot. «Le problème est de savoir si on veut arriver à des systèmes de type moderne comme dans les grandes villes du monde où le stationnement est payant. Dans ce cas-là, si on doit payer des parcmètres, sachant que l'argent va aller à la wilaya ou à l'APC sans avoir le droit de regard sur l'utilisation de cet argent, autant payer un être humain [un gardien de parking, ndlr], d'autant que les parcmètres ne surveillent pas les voitures. Dans le cas d'une optique socialiste où nous considérons que le parking doit être gratuit, il y a une absence flagrante de l'Etat qui sous-loue illégalement des trottoirs à des personnes privées, sans l'accord des citoyens », c'est l'avis éclairé d'un citoyen. Mais d'autres voient les choses de façon beaucoup plus concrète. «Ahhh, “les parkingueurs”!!!, s'enthousiasme Nassim, c'est tout un problème, c'est fatigant d'avoir à payer à chaque fois qu'on gare quelque part mais je dirai que c'est mieux pour ces petits jeunes, ils s'occupent, ils gagnent un peu d'argent et ça les détourne des envies de vol» ajoutera-t-il. Les parkingueurs en parleront autrement. «Ça ne fait que quelques mois que je fais ça, et franchement, grâce à cette activité, je reviens de loin. Je m'occupe, je gagne mon argent honnêtement et je me sens utile à la société vu que je permets aux gens de laisser leur véhicule en toute tranquillité», explique Ahmed qui s'est érigé gardien de parking dans une des ruelles d'Alger. Un autre «parkingueur», l'associé du précédent, car c'est en groupe qu'ils travaillent explique que «ce n'est pas un métier facile parce que les gens rechignent et n'acceptent pas toujours de payer, qu'il faut parfois se justifier ou même durcir le ton pour mériter ses 50 dinars». Racha, elle, ne sera pas de cet avis. Pour elle, «c'est du pur racket» et ce qui la révolte le plus «c'est de voir une absence totale de réaction de la part des autorités qui laissent ce phénomène s'accentuer et se répandre en toute indifférence». Peut-être bien, mais c'est pour l'instant grâce à cette activité ainsi qu'à d'autres qui entrent dans le même registre de clandestinité que les jeunes s'échappent à la délinquance pure et dure et apprennent à gagner leur argent, chance que même les diplômés n'ont pas toujours. Une brèche salvatrice si tant est qu'on ne cherche pas trop à savoir comment cet argent sera dépensé, une fois gagné.