Photo : Riad Par Fella Bouredji Après les affres de la décennie noire, où l'Etat était occupé à combattre le terrorisme et à assurer la sécurité, l'Algérie semble être sortie de sa torpeur. «On n'a plus le problème du terrorisme et on ne vit plus dans la peur de mourir dans l'explosion d'une bombe ou de voir ses proches égorgés. Maintenant, c'est d'autres problèmes qui surgissent. Il y a un véritable malaise dans la société et on le ressent de différentes manières. Maintenant que le problème du terrorisme ne se pose plus comme avant, les failles qui tarabustent la vie du citoyen se voient plus clairement», témoigne à juste titre une jeune Algéroise. D'année en année, l'embellie financière n'a cessé de s'accentuer apportant la promesse d'une vie meilleure pour des millions de citoyens. Une meilleure vie qui tarde à se concrétiser. L'Etat est riche et ne s'en cache pas, affichant régulièrement le montant faramineux de ses réserves de changes et annonçant des plans de relance économique dépassant la centaine de milliards de dollars. Et pourtant, paradoxe, chômage, logements, cherté de la vie, problèmes de transport continuent d'exaspérer tout le monde.«Où passe l'argent du pétrole ?» se demande Salim, «parkingueur» clandestin dans une rue d'Alger. Il répondra, sur un air désabusé et même colérique : «Partout mais pas chez nous, moi je suis chômeur et j'habite dans un deux pièces avec toute ma famille. L'Etat ne fait rien pour m'aider à m'en sortir. Les politiciens ne pensent qu'à leurs propres intérêts. Moi, je me débrouille tout seul, je ne les attends pas !» Des citoyens désespérés et aussi dubitatifs, il y en a. Une fois lancés sur ce sujet, ils ne cherchent plus leurs mots. Ils sont sans équivoques et savent qui montrer du doigt. Saïd, père de famille, quinquagénaire, pense que «les citoyens deviennent de plus en plus contestataires parce qu'il y a un ras-le-bol général, que les choses vont de mal en pis et que les gens ne sont pas dupes mais bien conscients de ce qui les entoure». Une vieille dame incriminera, de son côté, la population : «Les Algériens sont fainéants, ils ne veulent pas travailler et c'est pour ça que tout va au ralenti dans le pays.» Une autre dame ne sera pas de cet avis : «Si tout va si mal, c'est juste parce que les pouvoirs publics sont occupés à autre chose à s'affairer à régler les problèmes du citoyen.» Dans les villages et même dans la capitale, l'assainissement, le raccordement au gaz naturel, le bitumage des routes, l'alimentation en eau potable font encore défaut et préoccupent les habitants. «Tout est fait pour compliquer la vie des citoyens, on leur enlève leur permis, on leur impose des passeports biométriques et des milliers de papiers à remplir. Mais il n'y a aucun effort pour améliorer leurs conditions de vie ou du moins leur promettre des délais», souligne Imene, jeune étudiante. Le manque de liberté et l'absence de loisirs exacerbent et rendent insupportable une situation socio-économique déjà difficile. Face à ces réalités sociales, les citoyens se font de plus en plus contestataires. Une contestation qui s'exprime de différentes manières, émeutes, manifestations, grèves, exil légal ou clandestin (harga) jusqu'à en arriver aux formes les plus extrêmes, suicide, immolation par le feu, maquis. L'Etat, dépassé et dans l'incapacité de régler tous ces problèmes, réagit souvent de manière brutale pour éviter les débordements et la généralisation du phénomène. Intervention des forces antiémeute, répression, procès, intimidations et, dans certains cas, promesse de changement par des budgets exceptionnels. L'Etat et les citoyens entrent dans une sorte de rupture de dialogue qui laisse la place à la violence, seule façon de régler les problèmes dans l'imaginaire commun. Les citoyens n'ont plus le réflexe de s'adresser aux pouvoirs publics, APC ou autres institutions officielles pour leurs revendications. «Tout le monde a compris que, pour avoir un logement, il faut utiliser la violence comme à Diar Chems, où les émeutiers ont eu gain de cause», explique Halim, jeune cadre. La problématique de Diar Chems est effectivement un exemple réel de résolution d'une situation intenable par la violence. Celle-ci semble bien ancrée dans la société. Qui peut l'en extirper ? Les sociologues, les psychanalystes, les politiques ou les pouvoirs publics ? Les citoyens sont tellement empêtrés dans des préoccupations concrètes de survie qu'ils ne semblent pas près de s'y intéresser.