Synthèse de Sihem Ammour Comme à chaque Coupe du monde, de nombreux ouvrages sont édités autour de la thématique du sport roi. Souvent, il s'agit de véritables coups de marketing. Mais parfois cela donne lieu à de véritables œuvres littéraires comme pour cette année avec le recueil Nouvelles d'Afrique, nouvelles de foot- Enfants de la balle publié aux éditions JC Lattès. Le Djiboutien Abdourahman A. Waberi, auteur de Quelque part vers le début du match, a signé la préface de ce rendez-vous littéraire d'auteurs emblématiques et de la nouvelle vague d'écrivains africains, venus des quatre coins de l'Afrique. Le choix s'est porté sur des auteurs qui représentent assez bien le continent. Qu'ils viennent d'Algérie, du Maroc, de Djibouti, du Congo, du Soudan, du Sénégal, du Togo, du Nigeria, de l'île Maurice ou d'Afrique du Sud. Qu'ils vivent à Lomé, Los Angeles, Paris, Barcelone ou à Lagos, tous nourrissent pour le football une passion, sinon un intérêt évident. Abdourahman A. Waberi, qui aime traîner avec ses deux enfants dans les travées du stade Michel d'Ornano de Caen, affirme que «le foot est ma madeleine de Proust […]. Dans les pays du Sud, il fait office de baume au cœur, d'appel d'air […]. J'ai toujours aimé le football, sa liberté, son économie, sa part de dépense gratuite et surtout ses imprévus». Dans la première nouvelle, la Dernière Partie de Beckett, l'auteur togolais Kangni Alem s'amuse à parler de tout, sauf de foot. On se croit emporté dans un match de football, mais on se rend compte qu'en fait il n'est question que de baby-foot et de faillite intime. L'auteur invite ainsi les lecteurs à prendre conscience de l'importance du football comme moyen d'extérioriser les rancœurs de la vie. Au départ, peu sensible à ce sport, il en comprend l'importance lorsqu'il commence à y participer en tant que joueur, et non plus en spectateur. Le Sud-Africain Mark Behr, qui signe le Penalty, choisit, lui, de mettre en scène un assureur nommé Douglas, dont le fils est footballeur. Celui-ci se remémore ses souvenirs d'enfance où le football était déconsidéré, car pratiqué «par les nègres». La violence, le cloisonnement des communautés sud-africaines, le rugby, le foot, tout prend sens. Les critiques sur le Net soulignent que, dans ce recueil, on retrouve un discours directement centré sur le football où les auteurs s'appuient sur ce sport pour souligner son aspect «exutoire d'un régime totalitaire et violent» pour laisser s'exprimer une rage inouïe de la plèbe d'exister, de survivre, d'exulter, de détruire. La nouvelle de l'Algérien Yahia Belaskri incarne le mieux les nouvelles qui sont allées dans ce sens. Dans Nous gagnerons la Coupe du monde 2010, le Congolais Alain Mabanckou raconte l'histoire d'un ancien joueur de football dont la carrière prometteuse a été brisée précocement par un accident. Il explique au lecteur ses craintes et ses espoirs vis-à-vis de l'équipe qu'il supporte, les Diables verts du Congo. L'ouvrage se distingue par un mélange de genres et différentes formes de narration. Chaque texte vient avec sa structure, sa richesse et la présence de deux voix féminines incarnées par Ananda Devi et Laila Lalami rompt avec le préjugé de l'univers machiste des mordus du ballon rond. A titre d'exemple, le personnage du Clan des voleurs d'Ananda Devi a quelque chose de très touchant. Ce texte est chargé de poésie. Lui qui vient d'un peuple ignoré dans sa lointaine contrée et qui n'intègre pas le matérialisme occidental vers lequel il a été déporté, ne comprend pas le rapport entre ses aptitudes à voler et marquer des buts et le fait de les avoir associés. Comme ces auteurs, les autres écrivains, Anouar Benmalek, Laila Lalami, Jamal Mahjoub, Wilfried N'Sondé, Uzor Maxim Uzoatu, abordent à leur manière le sport roi à travers des points centraux du football, en posant le regard sur la place du supporter et du joueur, permettant ainsi de voyager autour des multiples facettes de l'Afrique à travers le football. Sur le site des éditions JC Lattès, il est souligné que «ce sport roi est le fil d'Ariane qui relie tous ces récits et les univers étranges, hantés, innocents ou flamboyants que les auteurs déploient d'une plume sûre. Certains auteurs ont été de véritables joueurs, d'autres sont des amateurs, joueurs du dimanche, experts scripturaires en matière footballistique. Le plaisir de lire chemine avec celui de jouer ou d'apprécier un bon match». Au final, ces nouvelles sont autant de portraits du continent africain : des enfants des rues qui jouent au foot dans la poussière aux joueurs professionnels qui rêvent des grands clubs européens, en passant par les supporters éclectiques, sans pour autant sombrer dans le misérabilisme. Car ce sont de bons écrivains qui sont réunis ici : le «onze» littéraire africain, la sélection parfaite pour ce genre d'exercice.