Photo : APS De notre envoyée spéciale à Pékin (Chine) Fella Bouredji Beijing capital international airport, aéroport de Pékin, l'un des plus modernes du monde. «La première année que j'ai passée ici était fascinante ; je découvrais la Chine qui fait rêver tant de touristes, tous les symboles de la civilisation chinoise qui s'allient à une modernité séduisante», confie Kenza, une jeune Algérienne. Les haut-parleurs de l'aéroport transmettent les annonces de départs et d'embarquements pendant que les voyageurs se pressent partout. «Trois ans après mon arrivée en Chine, j'avoue que je commence à me lasser de cette vie, de ce peuple et de ce climat», ajoute-t-elle de façon tranchante. Assise sur un des bancs de la salle d'embarquement, Kenza réagit calmement à l'annonce du retard du vol à destination d'Alger. Elle est maintenant habituée aux ajournements légendaires de la compagnie nationale de transport aérien. Un vol direct par semaine en direction de Pékin depuis le 23 février 2009 ; elle n'a donc pas le choix. Pour passer le temps, son regard se laisse absorber par les va-et-vient incessants de l'aéroport. Autour d'elle, des dizaines de Chinois attendent également. Ils prennent la même direction qu'elle, Alger, où un travail ardu les attend après cette petite pause estivale qu'ils ont passée au bercail. Le retard d'Air Algérie arrive à point nommé pour en savoir un peu plus sur Kenza. Agée seulement de 25 ans et déjà trois années d'exil derrière elle. Et de surcroît pas dans le pays le plus proche de l'Algérie. Jeune étudiante pleine d'ambition, elle poursuit ses études supérieures de second cycle à Harbin, ville située au nord du pays. Pourquoi avoir choisi la Chine pour son master en pharmaceutique, spécialisé dans la préparation de médicaments ? En fait, ce n'est pas vraiment elle qui a choisi la Chine, ni la Chine qui l'a choisie. Mais plutôt le gouvernement algérien qui, depuis trois années, s'est lié avec les universités chinoises en attribuant des bourses à des étudiants diplômés du premier cycle. Des étudiants qui, depuis 2007, sont de plus en plus nombreux à quitter leur famille et leur petite vie pour poursuivre leurs études dans l'une des universités chinoises, et ce, dans le cadre d'accords entre les gouvernements algérien et chinois qui ne cessent de s'accentuer. Accords des universités Il y a seulement trois semaines, deux accords dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la coopération économique et technique ont été signés entre l'Algérie et la Chine. Il s'agit d'un programme d'échange dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, ainsi que d'un protocole de coopération économique et technique, signés lors d'une cérémonie présidée par Abdelaziz Belkhadem, représentant personnel du président de la République, et par le conseiller d'Etat de la République de Chine, M. Dai Bingguo. L'accord sur l'enseignement supérieur et la recherche scientifique porte, notamment sur des bourses accordées à des étudiants algériens qui poursuivent leurs études en Chine et, en contrepartie, l'Algérie offre la possibilité à des étudiants chinois de bénéficier de bourses dans plusieurs spécialités en Algérie. Cet accord est renouvelable tous les trois ans et couvre les années 2011-2013, a-t-il été précisé le 21 juillet dernier par M. Dai Bingguo, qui a indiqué que ces deux accords reflètent «l'intérêt qu'accorde son pays aux échanges académiques et scientifiques avec l'Algérie». Kenza n'est pas la seule à voir sa vie bouleversée au cœur de cet «intérêt politique réciproque entre l'Algérie et la Chine». Ils sont des centaines chaque année à rejoindre l'empire du Milieu pour des formations spécialisées. Les disciplines les plus courantes : économie, business, anglais, chinois, commerce, pharmacie, mécanique, informatique, électronique, entre autres. Comment vivent ces Algériens ? Comment s'adaptent-ils à un mode de vie aussi éloigné de la culture algérienne ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Que pensent-ils du niveau d'instruction chinois et quel impact cette expérience d'exil asiatique a-t-elle sur leurs ambitions et attentes professionnelles ? Pour avoir un semblant de réponses, il a fallu aller à la rencontre de plusieurs Algériens vivant en Chine. Un voyage d'une semaine au cours duquel les paradoxes de la Chine, ballottée entre modernité et repli sur soi, se sont profilés. Du développement économique, qui transparaît dans l'architecture et dans le niveau de vie apparent de la capitale, aux restrictions tous azimuts de la démocratie et des libertés individuelles, notamment à travers le contrôle d'Internet. La peur du retour Smog et chaleur alourdissent l'atmosphère à la Cité interdite de Pékin. Site classé au patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco, il voit passer des milliers de personnes par jour. Hichem et Sabrina, un jeune couple algérois fraîchement marié, s'y rendent pour la première fois. Hichem est là pour trois ans d'études, englobant une année de langue déjà faite et deux années de master à venir. Sa femme, elle, est licenciée en journalisme et n'est là que pour suivre son mari. «J'ai appris à parler chinois en six mois après des cours intensifs, et je suis à présent content de vivre à Pékin, c'est une ville qui a beaucoup de choses à offrir», explique Hichem en regardant Sabrina, jeune femme voilée mais coquette, à la fois intimidée et sûre d'elle, l'image parfaite de la bonne épouse algérienne. «Avant, j'étais installé dans un campus universitaire, mais maintenant, je me suis trouvé un appartement à louer. Sabrina n'est là que depuis dix jours, et je voulais lui faire découvrir la ville. La Cité interdite est incontournable pour ça», reprend Hichem sur un ton chaleureux. Quand il s'agira d'en savoir un peu plus sur sa bourse et sa formation, il se confine rapidement dans le sens de la retenue. On saura tout juste qu'il est diplômé de l'école militaire polytechnique de Bordj El Bahri : «Je ne peux pas rentrer dans les détails», avoue-t-il avec un petit sourire. Ce qui touche au domaine militaire est forcément tabou, mais Hichem n'est pas le seul Algérien rencontré à Pékin détenteur d'une bourse attribuée après un cursus suivi à l'école polytechnique de Rouiba (école militaire préparatoire aux ingéniorats) et l'école militaire polytechnique de Bordj El Bahri. Leïla et Imad sont eux aussi là pour des masters dont ils ne veulent pas trop parler. L'un en mécanique et l'autre spécialisé en électronique. Ils confieront, par contre, tous les deux ne pas être convaincus par le haut niveau d'enseignement annoncé à leur arrivée, mais confirmeront une véritable richesse technologique et matérielle dans les laboratoires de l'université. S'ils ont l'apparence d'étudiants ordinaires, ils ne le sont pas vraiment. Il n'est pas facile de les faire parler de leur bourse et de leur mode de vie. Les étudiants comme Salim, inscrit à l'université de Nanjing, la capitale du Sud, sont plus prolixes. «Je suis là depuis un an, j'ai obtenu une bourse mensuelle de 460 dollars, après un concours pour poursuivre mes études de second cycle en mécanique. Mon hébergement au campus, mes charges universitaires et de santé sont couverts.» «460 dollars, 3 000 yuans environ, c'est à peu près ce qu'il faut pour être à l'aise», ajoutera Kenza, l'étudiante en pharmacie, ne manquant pas de préciser que les autres étudiants étrangers ont une bourse beaucoup plus conséquente : «1 500 dollars pour les Saoudiens, 1 000 pour les Libyens», précise-t-elle. Et d'ajouter, heureuse de partager cette expérience qui la coupe de son monde : «Les laboratoires sont très bien équipés. Ils ont tout ce qu'il faut ici. Mais j'avoue que ça m'inquiète pour mon retour. D'abord, pour l'équivalence une fois en Algérie, mais aussi la crainte que tout ce savoir capitalisé avec leurs méthodes très développées ne serve pas à grand-chose une fois de retour au pays où, on le sait bien, nos labos ne sont pas équipés du même matériel sophistiqué.» Solana, centre commercial pékinois situé en bordure du parc de Shaoyang et du lac Hao Miao. De style européen, symbole de la nouvelle Chine consumériste, sur 150 000 mètres carrés s'étendent une centaine de magasins de marques internationales, des pubs et des bars-restaurants branchés. Djawad, jeune Algérien, s'y balade avec d'autres jeunes de son âge à la recherche de vêtements à acheter pour l'une de ses amies coincée à l'aéroport de Pékin pour cause de retard du vol Pékin-Alger, ses bagages étant restés dans la soute de l'avion, et qui veut se changer. Djawad est lui aussi étudiant boursier, mais son cas est différent. D'abord parce que sa bourse ne lui a pas été attribuée par le gouvernement algérien. Mais aussi parce qu'il est déjà entré dans le monde du travail et apprend à allier les deux à présent. «Je me suis inscrit cette année en master entreprise management après avoir obtenu une bourse de type B de 1 400 yuans par mois, qui m'a été donné par le gouvernement de Shanghai pour une formation de deux ans et demi.» Après avoir obtenu une licence en sciences commerciales, spécialité comptabilité, ce jeune Oranais de 25 ans a rejoint la Chine pour lancer son affaire à Shanghai. Un bureau de liaison entre l'Algérie et la Chine sur l'import-export. «La langue peut parfois être une barrière pour la formation, mais l'anglais vient toujours au secours. Et en comparaison à l'université algérienne, le sérieux, l'assiduité et les moyens performants sont de mise ici», expliquera-t-il. Le problème de bibliographie sera le point noir mentionné par la majorité des étudiants rencontrés. Kenza précisera : «Tout est en chinois et tous les documents ne sont pas forcément accessibles. Et le peu qui soit disponible en anglais reste très incomplet.» Mais pour pallier ce problème de documentation crucial dans les études de second cycle, on pourrait penser à Internet, source de savoir intarissable si seulement son accès n'était pas contrôlé par le gouvernement chinois. Muraille de chine, site de Badaling, à une centaine de kilomètres de la capitale, les gens vont et viennent dans un silence qui sied à l'aspect solennel des lieux. Les touristes s'émerveillent en présence de Chinois habitués à l'austérité du site. Contre toute attente, beaucoup de Chinois connaissent l'Algérie. En parlant d'Internet, Mandy, jeune Chinoise, envie sur ce point l'Algérie où l'accès à la Toile est beaucoup plus libre. Justement, que pensent les Chinois des Algériens et quelle image se font les Algériens des Chinois ? Un mépris voilé d'humour A Alger, on a souvent l'occasion de les apercevoir. Dans leurs boutiques spécialisées, à côté de leurs étals au marché informel ou en évoluant comme n'importe quel autre citoyen. Ma Kha Eyan fait partie de ces Chinois de la classe ouvrière venus en Algérie pour gagner un salaire motivant. Il travaille sur les chantiers de l'autoroute Est-Ouest et n'hésite pas à confier ses impressions sur sa nouvelle vie à l'algéroise. «Ici, le niveau de vie est meilleur qu'en Chine. Il y a plus de loisirs, et si tu travailles dur, tu peux faire des économies conséquentes», explique-t-il dans un anglais approximatif. Travailleur, discipliné et docile, tout le contraire de l'Algérien normal, oserait-on dire. Ils sont justement nombreux comme Ma Kha Eyan à venir en Algérie refléter cette image, semble-t-il, dérangeante. En témoignent plusieurs réactions de rejet et de mépris à leur encontre, de même que plusieurs rumeurs les dévalorisant. Salle d'embarquement, à l'aéroport Houari-Boumediene, départ pour Pékin dans quelques minutes. Dès l'annonce de l'embarquement, les ouvriers chinois se ruent en masse vers le guichet et attendent tous, le regard hagard, qu'on leur fasse signe de passer. «Ya serdouk ahbass, esstena hena !» (espèce de coq, arrête-toi, attends ici), s'exclame l'agent de vérification des cartes d'embarquement à l'encontre d'un Chinois pressé de se présenter au guichet. Quelques secondes plus tard, un autre membre de l'équipe d'embarquement regarde les Chinois d'un air désabusé en murmurant : «Yakhi yakhi !» (intraduisible). Même constat dans l'avion où les Chinois sont traités avec cette même légèreté si proche du mépris. Mais pas un mépris méchant ou hostile, juste quelque peu narcissique de la part des Algériens. Simples petites pointes d'humour à l'algérienne ou mépris réel envers ces Asiatiques dont on ignore la langue, la culture et les repères. Difficile d'y répondre, mais ce qui reste sûr c'est qu'à voir cette attitude condescendante, on oublierait presque que la Chine a été des siècles durant la civilisation la plus avancée du monde, devançant les autres dans de nombreux domaines tels que les sciences, la médecine ou les arts. Et à son actif des inventions qui ont déterminé la vie moderne, le papier, l'imprimerie, le billet de banque, les pâtes alimentaires ou la poudre à canon. La Chine n'a certainement pas fini de surprendre le monde au vu des grandes mutations qu'elle subit et de son développement économique qui ne cesse de s'accélérer. Même si elle est encore sujette à des problèmes assez importants de pauvreté, de pollution et d'absence de liberté, la contrepartie de ce modèle dirigiste est sa compétitivité dans le monde économique. Le choix du gouvernement algérien pour l'accord du partenariat universitaire avec celle qu'on qualifie souvent d'«usine du monde» n'est donc pas anodin. Retour à l'aéroport de Pékin. Après soixante-douze heures de retard, Air Algérie vient de régler son problème technique. Les voyageurs de la compagnie arrivent exténués après avoir changé deux fois d'hôtel et perdu trois journées à attendre. Kenza en fait partie. Elle se dit enfin soulagée d'être sur le point de retrouver sa ville aux ponts suspendus, ses amis et sa famille surtout. «Air Algérie est toujours là pour me rappeler qu'en Algérie, ça n'évolue pas comme ça devrait, ce qui accentue ma crainte du retour», confie-t-elle. Une crainte qu'elle partage avec beaucoup d'autres Algériens qui n'ont pas hésité à partir aussi loin pour s'en sortir, mais qui appréhendent de revenir déphasés et avec ce sentiment d'inutilité une fois en Algérie. Les Chinois ont, eux aussi, peur du retour. Celle de se retrouver au chômage dans leur pays, mais aussi de perdre les quelques libertés auxquelles ils ont eu le temps de prendre goût à Alger. 9 000 km entre Alger et Pékin. Deux mondes tellement différents. Et finalement, la vraie question : mieux vaut-il être algérien en Chine ou chinois en Algérie ?