Elodie est une jeune Camerounaise de 24 ans. Elle a quitté sa ville natale, depuis un an et demi, pour vivre à Pékin, fuyant le chômage et pour construire un nouvel avenir. Nous l'avons rencontrée au marché Xishui, lieu de prédilection des touristes cherchant les bonnes affaires. Elodie travaille dans le secteur du prêt-à-porter féminin, un domaine qui ne la passionne guère. “J'ai fait des études de droit et je voulais être avocate, mais il m'a été impossible de le réaliser. Ici, je n'ai pas eu d'autre choix que de faire ce boulot en attendant autre chose.” Très attachée à sa famille, à qui elle envoie la moitié de ses revenus, la jeune fille n'est pas retournée chez elle depuis son départ même lorsque son frère est décédé. Les raisons, le coût élevé du voyage et la peur de perdre son emploi. La jeune Camerounaise nous confie avec un air déterminé “en tout cas, je n'ai aucune intention de quitter ce pays. Beaucoup ont été surpris lorsque j'ai choisi de venir en Chine mais je vois loin. Ce pays est l'avenir”. Elodie n'hésite pas à faire des pronostics en affirmant que dans une année, ou un peu plus, les visas ne seront plus octroyés pour rentrer ici. Des rêves pleins la tête, Elodie conclut : “J'ai mon business ici et je ne veux pas rater le train du futur. Ce que je gagne ici en un mois, je ne peux l'avoir au Cameroun qu'après plus d'une année et encore, lorsque j'ai un boulot. En restant ici, je sais que j'aurai beaucoup d'opportunités”. Le cas d'Elodie est loin d'être unique. Beaucoup d'étrangers, notamment des Africains et des Asiatiques travaillant en Chine sont dans le même cas et parmi eux les Algériens que nous avons rencontrés tout au long de notre périple chinois qui a touché cinq villes : Pékin, Tianjing, Nanjing, Xi'an et Shanghai. Cette sensation d'assister à l'émergence d'un géant, nous l'avons sentie à maintes reprises, et à chaque fois, nous pensions à la célèbre phrase de Napoléon 1er “Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera”. Toutefois les Chinois semblent très préoccupés par les retombées de la crise financière actuelle essentiellement à cause de la situation dans les autres pays du monde. “Nous sommes un pays exportateur. Si nous n'achetons plus nos produits, le chômage risque de prendre de grandes proportions”, nous dira un jeune ingénieur au cours d'un dîner, ce à quoi un autre Chinois, cadre dans une entreprise étatique lui rétorquera : “Ce sera peut-être plus difficile mais il ne faut pas s'en faire. Notre marché local est le plus important du monde et donc, on trouvera toujours une solution”. Avec un grand H “Ne peut être héros celui qui n'est pas allé au sommet de la muraille de Chine”. Une citation chinoise que nous avons apprise dès notre arrivée sur le sol chinois. D'ailleurs, nous ne nous sommes pas fait prier pour l'appliquer. En étant donc sur cette merveille, (classée depuis juillet 2007 parmi les sept nouvelles merveilles du monde), on ne pouvait s'empêcher de contempler l'histoire avec un grand H de ce pays. Le fait d'être face à une construction de près de 3 000 ans et de 6 700 kilomètres (rien que ça !) était déjà réchauffant, nous faisant oublier qu'il faisait tout de même moins six degrés Celsius. Une sensation de domination ne pouvait que nous envahir dès qu'on avait atteint le sommet. Le lendemain matin, nous sommes allés sur l'autre lieu historique de Pékin, la Cité interdite. Avant d'y entrer, on ne pouvait s'empêcher de déambuler sur la placette qui se trouve juste à quelques dizaines de mètres de l'entrée du lieu historique. Il ne s'agit ni plus ni moins que de la fameuse place de Tiananmen, qui avait défrayé la chronique en 1989 lors des manifestations estudiantines. On ne s'est pas empêché de discuter avec un Chinois d'une quarantaine d'années sur place sur ce qui s'était passé il y a de cela près de 20 ans. En lui parlant de l'image qui avait fait le tour du monde avec cet étudiant s'immobilisant face à un char, il nous a répondu sans ambages “c'est juste une image vue avec un œil occidental. Il faut surtout voir que le char voulait à chaque fois éviter le jeune et ne voulait pas du tout avancer tant qu'il restait sur place”. Une “lecture” qu'on a aussi retrouvée dans la Cité interdite là où vivaient les empereurs. D'un endroit fermé à la “plèbe” et réservé seulement à l'empereur et à la noblesse chinoise, c'est devenu l'une des images d'ouverture du pays avec l'immense foule qui s'agglutine quotidiennement devant l'entrée pour en faire la visite. Le Chinois de la place Tiananmen nous a accompagnés dans les allées de la cité. En nous relatant les fastes de l'empereur, il dira : “Vous savez qu'il avait plus de 1000 femmes à lui seul !”. Une information devant laquelle on s' “extasia” sur la chance qu'il avait mais la boutade a été visiblement non appréciée par notre interlocuteur “en les prenant, il avait surtout laissé beaucoup d'hommes célibataires” (on comprendra mieux quand nous avons su après qu'en Chine les hommes sont plus nombreux que les femmes d'environ 30 millions et qu'il était l'un des célibataires du pays). Un autre lieu historique de la Chine qu'on a eu la chance de visiter est ce que les autochtones appellent la huitième merveille du monde. Il s'agit de l'armée en terre cuite protégeant le mausolée de Qin Shi Huangdi, premier empereur de Chine (mort en 210 avant J.C) qui se trouve dans la ville de Xi'an (à environ 1100 km à l'ouest de Pékin). Une découverte qui ne date que de…34 ans. C'est l'une des découvertes archéologiques majeures du XXe siècle. Nous avons visité les trois sites dont le plus grand rassemble 6000 statues représentant des soldats, des officiers et des chevaux. Ces sites historiques nous ont surtout permis de regarder de près et même de toucher les symboles de la grande civilisation chinoise. Passer des livres, des photos, des images, au palpable est une sensation qui vaut toutes les peines du monde. Théorie et pratique : l'amalgame fructifiant Cependant ce pays, c'est aussi le présent et le futur. Nous l'avons senti dans les lieux de savoir qui nous ont également éclairé sur des faits inattendus. En déambulant dans la principale bibliothèque de Nanjing, qui est l'une des principales villes universitaires du pays, nous avons remarqué l'existence d'un stand arabe. La majorité des livres était des traductions arabe-chinois. Sur une étagère, nous avons remarqué que trois avec différentes couvertures (un bédouin dans le désert avec un chameau à côté) étaient signés par un…Algérien, un certain Dekiche Fouad, présenté en tant que professeur à l'université des langues étrangères à Pékin. Nous avons visité quelques universités et instituts dans les trois villes : Pékin, Xi'an, et Nanjing. La première a été l'une des plus prestigieuses de la Chine : l'université de la Science du transport de la Chine Nord (dans la capitale) où effectue une formation une partie des 76 ingénieurs algériens envoyés par la direction des programmes neufs de l'ANA (Agence nationale des autoroutes) depuis début décembre jusqu'à mi-janvier. La seconde a été l'université de Tsinghua (Pékin toujours). Aussi prestigieuse que la première et dont son plus illustre diplômé (en tant qu'ingénieur hydraulicien) n'est autre que Hu Jintao, l'actuel président de la Chine. Dans la ville historique de Xi'an, nous avons visité l'institut de la science des transports alors qu'à Nanjing (sud de la Chine, à 1160 km de Pékin) c'était l'université du Sud-Est, l'Institut scientifique des transports de Jiangsu. À chacune de ces étapes, nous avons surtout été surpris par les innombrables réalisations auxquelles ont contribué les ingénieurs de ces universités et instituts. D'ailleurs toutes les grandes infrastructures construites ces dernières années ont été l'œuvre des ingénieurs et cadres locaux qui ne cachaient pas leur fierté. Evidemment, on a essayé d'en voir le maximum pour avoir une idée plus au moins précise sur ce qui se fait chez nos “lointains voisins” chinois. Label numéro 1 Entre le Nid d'oiseau (nouveau stade olympique de Pékin) et le port de Yangshan de Shanghai, nous avons pu apprécier de plus près plusieurs infrastructures qui font la fierté de tout un peuple. En se dirigeant de Nanjing vers Shanghai, nous avons fait un détour vers le pont Sutong, le plus grand pont haubané du monde. Il relie les deux villes de Nantong et de Suzhou dans la province du Jiangsu (Est de la Chine) et a été officiellement ouvert à la circulation le 30 juin dernier. Ce pont mesure 32,4 km de long, se compose de trois parties dont le pont principal d'une longueur de 1 088 mètres et les deux parties au nord et au sud reliant les deux rives de la rivière. Le pont détient quatre records du monde : la plus grande portée, la base la plus profonde. Il est aussi le plus haut et comporte les haubans les plus longs. La société de gestion de l'autoroute Nanjing-Shanghai (d'une longueur de 283 km et qui est entrée en service il y a environ deux ans) est une institution qu'on ne tardera pas à voir en Algérie dans quelques mois. Nous avons mis le cap sur elle juste à la sortie de la ville de Nanjing. Au niveau du siège de l'entreprise, nous avons rencontré le directeur d'exploitation, M.Chen qui, devant les 27 écrans de surveillance de l'autoroute, nous a donné de plus amples informations sur la société. Avec un chiffre d'affaires de plus de deux milliards de yuans par an et 4000 employés, elle est cotée dans deux bourses, celle de Shanghai et de Hong Kong. “Notre activité est rentable. Nous avons déjà créé une société dans l'immobilier et on compte bien s'étendre dans d'autres secteurs”, nous précisa le responsable qui insista pour faire la différence entre la gestion privée “comme la nôtre” et étatique de ce genre d'entreprises. Nous avons aussi eu la chance de voir une autre œuvre dans le domaine des travaux publics dont la réalisation a fait sensation à travers le monde : le double tunnel de Zhongnanshan creusé dans les monts Qinling pas loin de la ville de Xi'an. Il s'agit d'un souterrain qui va dans chaque direction, d'une longueur totale de près de 37 km. Pour la longueur (18,02 km par direction) ce tunnel se classe deuxième dans le monde et l'envergure de ses travaux, en première place. En le traversant en voiture, l'impression était vraiment bizarre de rouler dans un tunnel de près de 19 km réalisé dans une région montagneuse quasiment déserte. Vert tous azimuts Entre énergie renouvelable et protection de l'environnement, les Chinois donnent l'impression d'y consacrer beaucoup de moyens. Il faut dire qu'il y a plus qu'une urgence pour le pays. Tout au long de notre séjour en Chine, soit près d'une quinzaine de jours, nous n'avons pu voir à aucun moment une toute petite partie d'un ciel bleu ni encore une seule goutte de pluie. Un état des lieux pas surprenant pour un pays classé parmi les plus pollués du monde (un récent rapport de la Banque mondiale dans lequel il est mentionné que 16 des 20 villes les plus polluées du monde se trouvent en Chine). “Nous avons payé le prix fort pour nous développer”, nous dira un des employés de l'entreprise Citic (qui avec le CRCC, forment le groupement chinois qui est chargé de la réalisation des lots centre et ouest de l'autoroute Est-Ouest. Il nous précisa ainsi que le groupe dans lequel il travaille a décidé d'opter pour une politique écologique tous azimuts : “d'ailleurs même en Algérie, il a été tenu compte des impacts de l'autoroute sur l'environnement. Par exemple les villages, les champs agricoles ou encore les réservoirs d'eau ont été évités dans la sélection du tracé”. Aussi, nous avons eu l'occasion de visiter une des réalisations de Citic à Pékin, en l'occurrence le siège central de Siemens se trouvant au quartier de Chaoyang et dont les travaux de construction se sont terminés, il y a quelques mois. Un immeuble intelligent (de 30 étages) doté d'une technologie qui centralise les automatismes de gestion de plusieurs services tels que la sécurité, l'énergie ou encore les communications. Pour le concret, et à un stade plus “plébéien”, l'énergie solaire prend une proportion de plus en plus grande. Il suffit de remarquer les toits des bâtiments et (surtout) des maisons individuelles pour le constater. Si chez nous, ce sont les paraboles, en Chine, ce sont les panneaux solaires qu'on trouve partout. Le prix moyen est de 1000 yuans (1 euro est l'équivalent de 8,5 yuans) et il est prévu que l'installation de ces panneaux soit incluse dans les normes de construction. Entre fierté et travail Les JO en avaient donné un aperçu et nous l'avons confirmé sur place. À chaque fois les Chinois, et surtout les jeunes, ont brandi devant nous leur amour du pays. Donner une bonne image de leur pays était très important. Ce que nous a raconté une jeune ingénieur de Nanjing donne un aperçu sur l'ampleur de ce nationalisme que beaucoup trouvent incomparable : “Mon copain est quelqu'un de très gourmand. Avant de rentrer au pays, on était étudiants en France et souvent j'avais honte de lui quand on était dehors. Il mangeait n'importe où et n'importe quoi. À chaque fois je me retournais vers ceux qui nous regardaient et je leur disais que nous étions des…Japonais ou des Coréens. Je ne voulais pas faire honte à la Chine.” On terminera par cette anecdote bien édifiante. C'était juste au début de notre séjour à Pékin. Il était 10h du matin et les rues n'étaient pas aussi bondées comme nous l'avions imaginé. Même les embouteillages étaient presque inexistants. Nous interpellions sur un ton de rigolade un Chinois assez bon francophone qui était à nos côtés. “C'est comme si à Alger, nous sommes plus nombreux que vous. À cette heure-ci, nos rues sont beaucoup plus bondées que les vôtres ; mais où est le milliard et demi de Chinois ?” Une question à laquelle on ne s'attendait pas avant qu'il nous réponde sur un ton sérieux : “Evidemment, ils sont en train de travailler”. No comment…