Le Soudan, le plus large Etat du continent africain, est déjà installé dans une perspective fondatrice de son avenir. Le pays montre des signes inquiétants, mais aussi ambigus, à près de trois mois du fameux référendum dit d'autodétermination. Le rendez-vous pourrait déboucher sur des scénarios différents et constituer un tournant dans l'histoire du pays. Le Soudan pourrait être coupé en deux entités distinctes avec les conséquences qui pourraient en découler dans une région complexe. Mais le Soudan pourrait également garder son unité malgré la diversité ethnique et religieuse qui caractérise ce grand pays. Le scénario de l'unité territoriale actuelle a la préférence de Khartoum. Le président soudanais Omar el-Bachir a prévenu cette semaine devant l'Assemblée nationale qu'il n'accepterait pas d'«alternative à l'unité» du Soudan. Le référendum prévu normalement le 9 janvier prochain fait désormais office de principal débat politique dans le pays. Omar el-Bachir est disposé à faire des concessions pour éviter le pire, c'est-à-dire une «dislocation» pure et simple du pays. Le président actuel a proposé un partage avantageux du pouvoir et des ressources aux Sudistes ainsi qu'une gestion du pays qui tiendrait compte de la diversité du Soudan. Face aux multiples suspicions des Occidentaux, Khartoum s'est engagé à organiser un référendum «libre, sans fraude et sans intervention extérieure». Le Soudan, qui s'apprête à vivre un scrutin décisif, avait pourtant eu la force de sortir de l'horreur. Le Nord, majoritairement musulman, et le Sud, en grande partie chrétien, ont mis fin en 2005 à plus de deux décennies d'une guerre civile destructrice qui a fait deux millions de morts. Et les vieux démons risquent de se réveiller de nouveau. Le président américain Barack Obama, dont le pays joue un rôle dans les négociations Nord-Sud, a mis en garde contre le risque de «millions de morts» en cas d'échec du référendum d'autodétermination du Sud-Soudan et le retour à la guerre civile Nord-Sud. Les leçons de Tourabi Une déclaration qui n'a pas été du goût de Khartoum. Le vice-président du Soudan a critiqué la mise en garde du président américain. «Obama reçoit des rapports émanant d'institutions qui ne savent rien de ce qui se passe au Soudan», a déclaré le vice-président Ali Osmane Taha. «Ce n'est pas la première fois qu'il parle ainsi du Soudan, et ce ne sera pas la dernière. Il tient des propos basés sur ce que rapportent des groupes de pression.» Le débat politique actuel au Soudan se concentre quasi intégralement sur l'étape référendaire de 2011. Les responsables du Pari du congrès national NCP et les ex-rebelles sudistes du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) poursuivent leurs discussions sur les sujets d'importance : le partage du pétrole, la frontière et la citoyenneté. Le Soudan, pays au sous-sol riche, produit actuellement 500 000 barils de brut par jour. Il se trouve que les trois quarts proviennent de champs pétrolifères au Sud-Soudan ou dans des zones contestées à la lisière Nord-Sud. Cependant, le Sud-Soudan, vaste région enclavée au cœur du continent africain est loin de bénéficier des richesses et ne disposant pas de pipeline est contraint d'utiliser les oléoducs traversant le Nord-Soudan afin d'exporter son pétrole. La complexité de la situation force les deux parties à chercher la collaboration plutôt que la confrontation. Selon une récente étude de l'Institut allemand pour les affaires internationales et sécuritaires «un accord dépend de la part qui sera attribuée au Nord des ressources pétrolières du Sud et de la méthode choisie pour calculer cette part». Pour les spécialistes du dossier soudanais des «divergences importantes» demeurent entre les deux camps sur le partage pétrolier notamment qui pourrait, à terme, mener à un nouveau conflit pouvant s'avérer fatal pour l'avenir du Soudan. A l'approche du référendum, et d'une probable victoire de l'option sécessionniste, le risque d'un retour à la guerre inquiète déjà les acteurs politiques. «Je crains que ce qui est arrivé en Somalie risque de nous arriver à nous, au Soudan, voire même en pire, car les Somaliens ne sont qu'un peuple, un pays, une religion, alors que nous sommes composés de différents groupes», a estimé l'opposant soudanais Hassan Tourabi. Ce dernier évincé du pouvoir en 2000 a été libéré en juin 2010. Ancien mentor du général Omar Hassan el-Béchir, Hassan al-Tourabi est devenu l'un de ses adversaires les plus virulents. Il a qualifié de «frauduleuses» les électionslégislatives, régionales et présidentielles qui ont vu la reconduction de Omar el Bachir. Abyei, la bombe à retardement Autre pomme de discorde entre le Nord et le Sud : la région pétrolière contestée d'Abyei. De la capitale Khartoum, le parti présidentiel affirme l'impossibilité de tenir à la date prévue le 9 janvier, un second référendum sur le statut de cette région, située entre le Nord et le Sud. Colère des Sudistes : «Tout délai est inacceptable. Cette annonce pourrait affecter l'ensemble du processus de paix», a prévenu Pagan Amum, secrétaire général du SPLM. La stabilité du Soudan passe par le règlement du dossier déjà trop complexe d'Abyei. La région jouit d'un statut administratif spécial. L'ONU a redéployé des soldats de la paix dans certains secteurs sensibles de la région. Le statut d'Abyei est devenu une véritable crise dans la crise. Le président du Sud-Soudan, Salva Kiir, a récemment demandé au Conseil de sécurité de l'ONU la création d'une zone tampon de 32 kilomètres de large le long de la frontière de 2 100 kilomètres entre le Nord et le Sud. L'idée d'un nouveau déploiement de Casques bleus au Soudan est viscéralement refusée par les autorités soudanaises. Récemment des responsables au pouvoir à Khartoum ont affirmé que le référendum d'Abyei ne pouvait avoir lieu à la date prévue. La raison en serait le différend sur la participation des nomades arabes Misseriya à ce référendum. La loi référendaire d'Abyei accorde le droit de vote à la tribu sudiste Dinga Ngok, mais pas aux Misseriya. Ces derniers ont promis de faire capoter le scrutin s'ils ne sont pas associés au vote. Des pourparlers sur la question épineuse d'Abyei doivent reprendre le 27 octobre prochain à Addis-Abeba dans l'Ethiopie voisine afin de débloquer l'impasse dans cette région devenue au fil du temps source de vives préoccupations. La région d'Abyei, considérée comme un pont historique entre le Nord et le Sud, pourrait être une véritable bombe à retardement et peser dramatiquement dans l'avenir préoccupant du Soudan. M. B.