Dans les zones de conflit, une station de radio vaut cinq bataillons, a un jour estimé un ancien chef des opérations de maintien de la paix des Nations unies. Ce que confirment de nombreux auditeurs et diverses études. Les «radios de la paix» – souvent mises en place par les missions de maintien de la paix des Nations unies – sont, en effet, de puissantes armes en faveur de la paix. Depuis 1992, l'ONU a créé sept stations de radio dans des pays sortant de guerres civiles, de la Sierra Leone à la République démocratique du Congo (RDC). Ces stations fournissent une information équilibrée et fiable, donnent la parole aux minorités et favorisent la préservation du sentiment national. En dépit de leur impact positif, jusqu'à tout récemment encore, au terme des missions de l'ONU, ces radios cessaient tout bonnement d'émettre, déplore Bill Orme, spécialiste des médias au sein du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Ces brusques disparitions peuvent pourtant laisser un vide dans le paysage médiatique et compromettre les efforts de paix. Mais une expérience inédite, actuellement menée en Sierra Leone, pourrait changer la donne dans un avenir pas si lointain. Créée il y a dix ans, en même temps que la Mission des Nations unies en Sierra Leone (Minusil) s'installait dans ce pays d'Afrique de l'Ouest ravagé par la guerre, la radio de l'ONU est rapidement devenue la station de radio la plus populaire du pays. En 2005, à l'heure de décider du retrait de la Mission, le Conseil de sécurité de l'ONU a demandé à celle-ci de soutenir la mise en place d'un service de radiodiffusion public indépendant. En mars 2010, la radio de l'ONU est passée sous le contrôle d'un conseil d'administration local. Enjeu : maintenir l'indépendance de la station. Ce modèle - baptisé «le modèle BBC» - est coûteux. Même pour un pays riche comme le Royaume-Uni, le budget de la BBC (environ 5,7 milliards de dollars par an) est un investissement colossal, note Jonathan Marks, spécialiste des médias. Dans des pays sortant d'une guerre comme la Sierra Leone, un tel modèle pourrait être difficile à mettre en œuvre, «à moins d'avoir un très bon plan de financement et de disposer d'orientations éditoriales claires». Modèles du futur Un autre modèle est actuellement à l'essai en République centrafricaine. L'ancienne radio des Nations unies (radio Minurca) est en passe de devenir un diffuseur privé indépendant. La mutation est menée par Hirondelle, une fondation suisse ayant, aux côtés de l'ONU notamment, une longue expérience du soutien aux médias dans des pays en conflit. Basée à Bangui, radio Minurca a été lancée par l'ONU en 1998 et fermée en 2000. Son matériel a ensuite été expédié en Sierra Leone. Avec le soutien de divers bailleurs de fonds, la fondation Hirondelle lui a ensuite permis de recommencer à émettre sous le nom de radio Ndeke Luka. Dès le départ, la fondation avait l'intention de transformer la station de radio en entreprise privée, explique le président d'Hirondelle, Jean-Marie Etter. Le transfert n'est pas encore effectif car il reste à trouver les financements. «Il ne faut pas se contenter de reproduire cette expérience particulière. Chaque contexte est différent. Ce qui marche en Sierra Leone ou en République centrafricaine ne marchera pas forcément au Congo ou au Soudan», tempère M. Etter.Autre solution : maintenir sur place une partie de l'infrastructure et du personnel de la station de l'ONU pour soutenir le développement des médias locaux. Radio Okapi, la station de l'ONU en RDC, qui offre une couverture incomparable de l'actualité de ce vaste pays à ses 20 millions d'auditeurs, pourrait devenir une agence d'information nationale qui fournirait des contenus aux autres médias, estime Lena Slachmuijlder, directrice en RDC de Search for Common Ground, une organisation non gouvernementale américaine spécialisée dans le développement des médias dans les zones de crise. Quelle que soit l'option retenue, la survie des stations de radio de la paix dépendra de l'évolution politique et économique des pays concernés, note M. Etter de la fondation Hirondelle. Défis à venir La plupart des analystes soulignent également les obstacles économiques potentiels. Dans les pays stables, les médias peuvent bénéficier de revenus publicitaires et d'aides publiques. Mais dans les pays qui sortent d'une guerre, l'économie est souvent en ruine et les ressources de l'Etat sont limitées. Au Burundi et en RDC par exemple, les médias pourraient difficilement survivre sans l'aide de bailleurs de fonds extérieurs, explique Marie-Soleil Frère, chercheuse à l'Université libre de Bruxelles. «Collectivement, les partenaires extérieurs ont pris le contrôle de l'essentiel du secteur médiatique régional», ajoute-t-elle. Les professionnels qui travaillent pour des médias financés de l'extérieur sont généralement les seuls à être bien payés. En dépit du transfert aux instances locales, l'ancienne station de radio de l'ONU en Sierra Leone dépend encore du soutien de bailleurs de fonds, dont celui du Fonds pour la consolidation de la paix des Nations unies. Radio Ndeke Luka en République centrafricaine dépend également de ses bailleurs de fonds qui la financent annuellement à hauteur de plus de 80%. «Le fonctionnement des stations de radios coûte cher. En attendant que la situation économique s'améliore, il y a peu de chances de succès sans soutien financier extérieur. Au Congo, en Sierra Leone ou au Soudan, la radio doit devenir une entreprise profitable, comme au Kenya et en Afrique du Sud», conclut Francis Rolt, spécialiste des médias. A.-M. E. In Afrique Renouveau, magazine de l'ONU