De notre envoyée spéciale à Genève Mekioussa Chekir «Quel rôle peuvent jouer les journalistes en temps de guerre et de paix ?» Telle est la problématique autour de laquelle un workshop international a été organisé du 18 au 21 mai derniers dans la capitale suisse, Genève, à l'initiative du réseau global du journalisme «Média 21 Genève» avec le concours du Centre de politique de sécurité de Genève (GSCP). Cette rencontre a réuni une quinzaine de journalistes de Suisse, de Guinée-Bissau, du Kenya, du Liberia, de Jordanie, du Soudan, d'Algérie, de Palestine, du Kosovo, de Colombie et de Roumanie. Elle aura permis à ces représentants de prendre connaissance de certains aspects liés à la gestion des situations conflictuelles et à la construction de la paix à travers le monde. Elle aura surtout permis à ces derniers de confronter les expériences de leurs pays respectifs en la matière en prenant, du coup, connaissance des différents processus en cours ou ayant conduit à une paix. Pour animer ces ateliers, un panel de différentes personnalités représentant divers organismes, essentiellement ceux relevant des Nations unies et qui interviennent dans le domaine du maintien et de la sauvegarde de la paix. Le directeur exécutif de Média 21, Daniel Wermus, donnera le ton et l'intérêt de cette rencontre dès l'ouverture du workshop : «Les journalistes ne sont pas des diplomates. Nous pouvons nous poser toutes sortes de questions car des centaines de millions de vies en dépendent. Nous ne sommes pas uniquement des spectateurs passifs des événements mais des acteurs essentiels dont les comptes-rendus ont un large impact. Malheureusement, cet impact n'est pas suffisamment exploré», dira-t-il. Tout au long de cet atelier, le rôle des Nations unies a été mis en avant, non sans susciter des interrogations quant à l'efficacité de cette institution, voire par rapport à sa crédibilité en raison de la mainmise des grandes puissances sur ses appareils. Représentant l'organisation internationale, le Dr Thierry Tardy rappelle de son côté que les Nations unies «sont le principal gardien» de la paix au monde avec plus de 7 billions de dollars investis par an. Face aux multiples conflits que l'organisation est appelée à solutionner, ajoute l'intervenant, les Nations unies se doivent avant tout d'être mieux structurées pour une meilleure efficacité en même temps que d'être dotées d'un mandat «clair et limité». A cela doit s'ajouter une «cohérence de la visibilité» à travers une stratégie clairement définie. De même, explique M. Tardy, qu'est nécessaire une coordination entre l'organisation onusienne et les pays concernés par un conflit donné. Ce qui suppose, au préalable, l'engagement de ces derniers à trouver une solution pacifique au conflit. C'est le cas, rappellera-t-il, notamment en Afrique où 70 à 75% des forces onusiennes sont déployées. Intervenant à son tour, Robert James Persons, journaliste correspondant au bureau des Nations unies à Genève, estime trop élevé le coût des opérations de maintien de la paix. Cela, fera-t-il remarquer, au moment où le journaliste se transforme parfois en «un tueur sans armes». Le journaliste, un acteur du processus de pacification Parfois, il contribue à transformer complètement le cours de l'histoire comme cela a été le cas lors de la guerre du Vietnam. «Le journaliste est un acteur du processus d'édification de la paix, il peut soit détruire celui-ci ou le renforcer ; la différence entre un bon journaliste et un meilleur, c'est de savoir quand il faut s'empêcher de rendre compte d'un fait !» ajoute le reporter qui cumule une longue expérience dans les zones de turbulence. Pour illustrer certaines difficultés liées à l'exercice de la profession de journaliste, il citera le cas des reporters sri lankais qui ont du mal à rendre compte objectivement de la situation qui prévaut dans leur pays tant ils sont persécutés par leur gouvernement : «Ils sont entre deux feux, celui des autorités de leur pays et celui des forces rebelles !» Il mettra enfin le doigt sur l'un des thèmes contemporains qui créent le plus de polémiques et qui font toujours autant couler d'encre : «Il y a une incompréhension entre les mondes musulman et occidental à cause d'une profonde divergence de vues et les médias ont un rôle important à jouer pour remédier à cette situation.» Le Dr Rama Mani, formateur au GCSP, parlera des «défis de la reconstruction de la paix» et situe les réponses d'abord dans la prévention et regrette que cet aspect ne soit pas développé et hissé au rang de «culture» au sein des sociétés. Le suivi des actions identifiées depuis les années 1990 en vue de renforcer la paix dans le monde font état d'une nette évolution de leur nombre, notera-t-elle. Des conflits, précise-t-elle, qui ont un coût de plus en plus élevé. Il ressort également une plus grande brutalité et une violence endémique de ces litiges du XXIe siècle, davantage de complexité et une dimension internationale des litiges. «Il faut faire ici la différence entre une paix durable et une paix négative qui suppose une cessation des hostilités armées mais pas nécessairement l'arrêt définitif de la violence parmi la population !» note la conférencière. Les défis que doivent relever les «constructeurs de la paix» sont, à ses yeux, liés à plusieurs facteurs, essentiellement de ne pas omettre le fait que «toute paix ne peut exister sans justice, autrement ce serait juste une paix symbolique !». Représentant le Haut-Commissariat aux réfugiés, l'intervenant suivant évoque les nombreuses situations conflictuelles qui rongent le continent noir, et estime qu'il est difficile pour l'Union africaine (UA) de faire mieux que l'ONU s'agissant de la résolution de ces luttes aux conséquences désastreuses sur les populations locales. Les limites de l'action internationale Il regrettera par ailleurs que l'action internationale soit souvent limitée, comme ce fut le cas en 1995 avec le massacre des musulmans par les Serbes, sous les yeux impuissants de la communauté internationale. «L'OTAN avait envoyé plus d'unités en tant de paix que durant la guerre. Par ailleurs, le rôle des forces de maintien de la paix est souvent mal appréhendé ; or, il est important pour les populations locales de comprendre que les troupes de l'ONU par exemple, ne viennent pas en conquérantes !» Yves Laplume, gérant de la fondation Hirondelle, qui promeut la paix dans les médias évoque les situations de conflits ou l'un des protagonistes utilise les médias comme arme de guerre. Et de citer l'exemple de la radio des «1 000 collines» qui avait servi de relais au gouvernement rwandais pendant le génocide de 1995. Les Nations unies avaient alors, indiquera-t-il, tenté de contrecarrer la situation en créant une radio destinée à encourager la paix et la tolérance, mais l'initiative était tardive tant les victimes de ce génocide se comptaient déjà par dizaines de milliers. «Les journalises qui font l'apologie des crimes contre l'humanité et des génocides doivent être poursuivis par la justice et doivent être interdits d'exercice par leurs gouvernements.» M. Laplume plaidera ensuite pour un rôle plus soutenu des tribunaux criminels pour juger les commanditaires de ce type de crimes contre l'humanité. Il relèvera, au passage, les violations commises par les agents de maintien de la paix dans les régions concernées, notamment les viols. Philippe Chauzy et Jonathan Martens, représentants l'Organisation internationale des migrations (OIM), ont évoqué, pour leur part, les dramatiques conséquences des guerres liées au trafic d'êtres humains, des enfants essentiellement. Et d'expliquer les domaines d'intervention de leur organisation, lesquels viennent compléter les prérogatives du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). M. C. Qu'est-ce que le GCSP de Genève ? Le Centre de politique de sécurité de Genève (GCSP) est une fondation internationale de droit suisse créée en 1999 par le département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports, en coopération avec le département fédéral des Affaires étrangères, en tant que participation helvétique au Partenariat pour la paix (PPP). Son objectif est de contribuer à la promotion et à la consolidation de la paix, de la stabilité et de la sécurité dans le monde. Dans cette perspective, le centre dispense une formation spécialisée en matière de paix internationale et de politique de sécurité pour des diplomates en milieu de carrière, des militaires et des fonctionnaires des ministères concernés tels que les Affaires étrangères, la Défense… Le centre, qui forme plus de 2 000 cadres par an, veut contribuer à «une perspective internationale» et à «combler les fossés» en matière de communication et enfin, à établir des «partenariats constructifs». Sa principale mission étant de «préparer les leaders aux nouveaux défis en matière de sécurité internationale». Les thématiques abordées durant la formation vont des «défis en matière de paix et de sécurité» à la «gestion des conflits et consolidation de la paix», en passant par les «conséquences géopolitiques de la mondialisation et la sécurité transnationale». Le directeur général du Centre, Fred Tanner, rappelle que les questions de la paix et de la sécurité dans le monde ont évalué et sont devenues l'une des priorités dans l'agenda international. Intervenant à l'ouverture du workshop organisé par Média 21, M. Tanner évoque la «grande responsabilité» des journalistes qui travaillent en tant que reporters, éditorialistes, analystes… pour la promotion de la paix. L'armée internationale suisse au service de la paix mondiale La Suisse est l'un des rares pays au monde à avoir décidé de se passer d'une armée. Mais la confédération helvétique dispose d'une armée internationale, l'une des 40 armées internationales qui interviennent dans des opérations de maintien de la paix au monde. C'est dans un paysage des plus typiques de la campagne suisse que se trouve le quartier général de cette armée, plus précisément dans la ville de Stans, à près de 300 km de Genève. Les militaires suisses ont déjà fait partie des missions de l'ONU au Kosovo (Kfor), au Sahara occidental (Minurso), au Darfour… Notre séjour dans ce centre avait coïncidé avec la présence de deux Algériens qui ont été sélectionnés pour y être formés. Il s'agit d'un représentant de la Gendarmerie nationale et d'un autre de l'Armée nationale populaire (ANP). Au terme de leur stage pratique, ils seront affectés ultérieurement dans une des zones de conflit d'Afrique. Entre-temps, ils pourront déjà former leurs collègues algériens sur les principaux éléments inculqués.