Photo : M. Hacène Entretien réalisé par Karima Mokrani La Tribune : Des travailleurs de plus en plus nombreux souffrent de problèmes de santé liés au stress au travail. Comment expliquez-vous ce phénomène ? Dr Salah-Eddine Menia : Pour commencer, il faudrait d'abord définir ce qu'est le stress. C'est une réponse identique et unique de l'organisme à chaque demande qui lui est faite, physique, psychologique ou émotionnelle. Lorsqu'un élément ou une information nous parvient du monde extérieur, l'organisme répond obligatoirement. La répétitivité, va fait que ces messages persistent, s'étalent dans la durée, va faire qu'un problème ou des problèmes se posent sur les trois registres : émotionnel, psychologique et physique. A travers notre expérience, nous avons constaté que l'élément fondamental, à l'origine du stress au travail, est l'absence d'organisation. Les gens travaillent n'importe comment. Les tâches ne sont pas définies. Il y a des chevauchements. C'est le flou dans l'organisation. Obligatoirement, un sentiment d'insatisfaction se met en place. Quand il est répétitif, sur la semaine, le mois et l'année, cela va engendrer un état de mal-être. La personne est perturbée, tendue. Elle ne peut pas actualiser ses capacités. Le travailleur se sent marginalisé et des troubles fonctionnels peuvent apparaître, allant parfois jusqu'à une pathologie organique franche. Pourrait-on savoir quand le stress atteint sa limite ? On dit qu'une personne est stressée quand la dose du stress accumulée dépasse son seuil optimal. Quand l'organisme commence à manifester des signes d'épuisement. D'ailleurs, dans les situations extrêmes, on parle de burn-out. La personne stressée ne peut plus faire d'efforts. Pourquoi ? L'énergie qui était disponible auparavant a fini par s'épuiser. Les répercussions sur le travailleur et l'institution sont multiples. Quels sont ces signes d'épuisement et de malaise ? Fatigue, difficulté de concentration, nervosité, troubles de la mémoire, sentiment d'impatience, migraines, spasmes… tout cela constitue des messages que l'organisme nous transmet. A ce stade, les choses doivent être prises sérieusement en main. Peu de personnes prennent en considération ces symptômes... C'est l'erreur à ne pas commettre même s'il y a d'autres moyens de faire face au stress. La personne peut faire du sport, s'entraîner à la méditation sous la direction de gens qualifiés, faire de la relaxation… aider le corps à se débarrasser des tensions accumulées et recharger les batteries. Quand les clignotants sont au rouge, il faut solliciter l'aide d'un spécialiste. L'employeur et l'employé ont chacun leur part de responsabilité. Comment les évaluez-vous ? En effet, la responsabilité est partagée. Les premiers responsables, ce sont les dirigeants de l'entreprise. Ceux qui ont le pouvoir de décision. Côté travailleurs, certains ne peuvent pas s'adapter aux conditions proposées du fait qu'eux-mêmes souffrent de problèmes névrotiques ou de problèmes relationnels. Quand une personne est paisible, sereine et, par ailleurs, a une vie tranquille, elle est moins sujette au stress. Elle a une bonne capacité d'adaptation. En revanche, quand un salarié rencontre déjà des difficultés pour arriver à son lieu de travail du fait de la désorganisation de la vie sociale que nous vivons tous (problèmes de transport, embouteillages…), il y a là une fragilité inhérente au fait déjà de sortir travailler. Arrivé sur le lieu de travail, il faut gérer et faire face à d'autres problèmes. Pourquoi est-ce si difficile d'assurer une bonne organisation du travail ? Les décideurs ne font pas appel aux spécialistes pour les aider dans l'organisation du travail. Organiser le travail au sein de l'entreprise, n'est pas à la portée d'un simple administrateur. En effet, c'est le spécialiste en sciences du comportement, connaissant parfaitement le milieu culturel sur lequel il tente d'agir, qui pourrait être en mesure d'agir positivement. Souvent, on fait appel à des étrangers mais ces derniers ne sont pas en mesure de répondre à la demande parce qu'il n'y pas une connaissance profonde de la réalité algérienne. Je profite de cette occasion pour lancer un appel aux responsables des entreprises à avoir le réflexe de faire appel aux gens compétents qui peuvent les aider à apporter un plus, à améliorer le travailetc. Ceci est valable pour les ministères, les corps constitués, les administrations publiques, les entreprises publiques et privées, etc. Encore une fois, je reviens sur les relations interpersonnelles où l'aspect proprement personnel est très important. Quand une personne est équilibrée, paisible avec elle-même, elle a tendance à avoir des relations saines avec les autres. Quand une autre a des nœuds névrotiques, des difficultés avec elle-même, elle a tendance à créer des difficultés avec les autres sinon les percevoir selon un angle de vision propre à elle. Cela va être source de stress et peut-être produire des effets négatifs sur la santé du travailleur et par-delà, sur le rendement de l'entreprise et sur toute la société. Comment agir pour prévenir ces complications ? La personne doit déjà commencer à développer le sens de la responsabilité au travail. Quand je vais au travail, je me sens responsable de ce que je fais et des répercussions de mes actions sur mes collègues et, par extension, sur les autres. Chaque employé ou travailleur, de façon générale, doit faire un effort pour s'améliorer, faire les choses du mieux qu'il peut. Se dire «je m'en fous, ce n'est pas mon problème, ce n'est pas important, cela ne va rien changer dans ma vie…» est un raisonnement faux. Quand j'améliore mon travail, cela se répercute positivement sur les autres. Il y a un phénomène de chaîne positive. Il y a une prise de conscience collective. Les gens vont se rendre compte de la nécessité de bien faire les tâches qu'on leur confie, indépendamment des autres aspects. Le problème justement est dans ce travail sur soi que chaque personne doit effectuer. Certains n'en voient pas la nécessité… C'est surtout qu'ils ne sont pas orientés. Ils ne savent pas quoi faire. Si un responsable d'une entreprise prend l'initiative de dialoguer avec les employés, d'ouvrir les canaux de communication, de les écouter… cela va arranger bien des choses. Les travailleurs ont beaucoup à dire et souvent des choses pertinentes. Et ils les diront facilement, correctement, si les responsables des entreprises font montre d'écoute et de disponibilité à prendre en charge leurs préoccupations. Le manager pourra apporter les solutions adéquates au moment voulu, c'est-à-dire quand il y a problème ou amorce de dysfonctionnement. La qualité de la communication permet de prendre conscience de ce qui ne va pas et d'apporter les correctifs avant que ce ne soit trop tard. Que conseillez-vous aux employeurs ? Un dirigeant averti, parfaitement conscient de l'impact des aspects relationnels, des aspects d'organisation, de l'effet du travail sur les employés, fera facilement appel à des gens qualifiés pour aider à mieux définir les tâches, à mieux organiser le travail. En cours d'année – ça se fait dans tous les pays du monde- il peut envoyer certains de ses employés, ceux qui ont un rôle important dans l'entreprise, participer à des séminaires. Les cadres apprendront ainsi à connaître le mode de fonctionnement des effectifs humains, identifier les sources du stress et apporter les éléments de réponse adéquats. Nous aurons des responsables qui peuvent être des facteurs d'atténuation du stress et d'amélioration du travail et, par conséquent, du rendement global. L'année dernière, vous avez animé un séminaire sur l'affirmation de soi au profit de cadres d'une entreprise nationale. Parlez-nous de cette expérience... Nous avons été amenés à intervenir auprès de sociétés nationales pour animer des séminaires de développement personnel. J'ai assuré un séminaire sur l'affirmation de soi. Le séminaire s'intitulait d'ailleurs s'«affirmer pour mieux manager». Quand le manager est qualifié, c'est une source positive dans l'entreprise pour mieux gérer les choses et atténuer les conflits et les difficultés relationnels. Quand le manager est qualifié, il sait observer, répondre aux situations qui se présentent à tel ou tel moment. L'harmonie s'installe dans l'entreprise. L'efficacité est meilleure. Le stress au travail, au lieu d'être une source de perturbation, sera une source de stimulation. En contrôlant le côté psychologique, on contrôle les comportements. Et cela peut se faire dans tous les domaines (gestion des administrations publiques, gestion des marchés, circulation automobile…). Pourrions-nous avoir une idée sur le coût du stress ? Aux états-Unis, on estime le coût du stress au travail à 300 milliards de dollars par an. Absentéisme, problèmes de santé, problèmes de rendement… C'est dire l'importance de la formation et de la prévention. Vous insistez sur la participation aux séminaires et l'aide de spécialistes en sciences du comportement. C'est chose rare dans nos entreprises où la gestion est essentiellement administrative, parfois trop rigide… Ce n'est pas en faisant preuve d'autoritarisme ou de rigidité mentale qu'on améliore les choses mais en faisant appel à la connaissance. C'est en améliorant la connaissance des personnes et des choses qu'on peut évoluer. En évoluant, on tire toute la société vers le haut, vers le mieux. Les Algériens souffrent énormément. Il y a une grande détresse morale. Que ceux qui peuvent apporter des solutions le fassent sans tarder. Améliorer les choses sur le lieu du travail contribuera énormément à soulager la douleur des uns et des autres.