Photo : Sahel Entretien réalisé par Karima Mokrani LA TRIBUNE : C'est l'été. Une période de chaleur bien propice pour la survenue d'affections de tous genres : maladies à transmission hydrique, intoxications alimentaires, problèmes respiratoires, etc. Où en est la situation ? Dr Mohammed Ouahdi : Pour ce qui est des maladies à transmission hydrique, nous constatons qu'il y a de moins en moins de cas de fièvre typhoïde. L'année dernière, nous avons enregistré 1,65 cas pour 100 000 habitants, alors qu'en 1999, il y avait 9 cas pour 100 000 habitants. Il faut savoir que la typhoïde n'est pas une maladie de l'été, elle sévit plus en automne et en hiver. L'origine en est ce que nous appelons le cross connexion (lorsque les eaux usées s'infiltrent dans les conduites d'eau potable). Le risque est toujours présent… Il y a moins de risques par rapport aux années précédentes, parce qu'il y a des améliorations dans l'approvisionnement en eau potable avec moins de coupures… ainsi que la construction et la rénovation de stations d'épuration des eaux usées. Et pour ce qui est des intoxications alimentaires ? C'est toujours un problème. Les intoxications alimentaires sont en évolution continue. Nous avons une moyenne de 5 000 cas par année, et ce chiffre ne représente que les cas déclarés, c'est-à-dire les malades qui arrivent aux structures de santé. Beaucoup d'autres consultent des médecins privés ou font de l'automédication. Les intoxications alimentaires augmentent en été, mais sévissent toute l'année. Les aliments incriminés sont, en première position, le couscous et la pâtisserie. La viande hachée, les viandes blanches et rouges viennent en deuxième position. Pourquoi ces intoxications alimentaires augmentent-elles en été ? Pour le couscous, c'est parce qu'il y a plus de fêtes et que les femmes qui le roulent ne se lavent pas toujours les mains. Autre cause de ces intoxications, il y a l'interruption de la chaîne du froid. Beaucoup de commerces éteignent leurs frigos la nuit et certains n'en possèdent même pas… et d'autres, à l'exemple des vendeurs d'œufs, exposent leurs produits au soleil, alors que c'est formellement interdit. Les gens achètent et consomment ces produits (œufs, viandes blanche et rouge, lait et ses dérivés…) sans vérifier s'ils ont été conservés dans de bonnes conditions. Pour la pâtisserie, la mauvaise conservation des œufs en est aussi la cause. Et les œufs mis en vente ne répondent pas aux températures réglementées. Pour la viande hachée préparée à l'avance, nous avons toujours dit que c'est un milieu de culture pour les bactéries. Le ministère de la Santé prend-il des mesures particulières pour endiguer ce phénomène ? Le ministère envoie chaque année des circulaires et des fiches techniques aux différentes directions de santé des wilayas pour la prise en charge du mieux qu'elles peuvent de toutes les maladies. Aussi, nous disposons de laboratoires pour contrôler les aliments et l'eau de boisson, et nous organisons régulièrement des formations au profit de nos laborantins pour les initier aux nouvelles techniques. Cela reste insuffisant. Pour cause, le département de la santé ne peut pas agir seul pour lutter contre ces intoxications. Nous n'en sommes pas à l'origine. Nous, les services de la santé, recevons les dégâts des autres secteurs. Nous subissons leurs défaillances. Nous sommes un réceptacle. Justement, combien coûte la prise en charge de ces intoxications alimentaires ? Une simple intoxication alimentaire revient facilement à 1 200 DA quand le malade n'est pas hospitalisé. Une journée d'hospitalisation revient au minimum à 7 000 DA. Que préconisez-vous alors ? Il faudrait qu'il y ait un véritable travail de contrôle et de prévention a priori. Je demande à ce que les commissions locales chargées de délivrer le registre de commerce vérifient le respect des règles d'hygiène et d'aération avant de donner leur accord pour l'ouverture d'un local commercial. On a vu des boucheries sans robinet d'eau, des grossistes en œufs sans moyens frigorifiques, des commerces dans des surfaces minuscules, etc. Il y a aussi le problème d'urbanisme commercial… Ça aussi, c'est un grand problème. Un mécanicien à côté d'un pâtissier, un tôlier à côté d'un boulanger… Un mélange total. Une anarchie totale, une véritable cacophonie. Nous attendons une nouvelle loi sur l'urbanisme commercial. L'initiateur en est le ministère du Commerce. Des lois sans application…je reste pessimiste. Quelles sont les autres maladies de l'été ? Un des autres problèmes de l'été, c'est l'envenimation du scorpion. Les piqûres du scorpion augmentent en été. L'homme cherche un coin frais, enlève ses sandales, se met sur le sable… mais, à côté de gravats, loin de la lumière du jour, il rencontre le scorpion. Nous avons environ 50 000 piqûres par an dont certaines sont mortelles. L'année dernière, nous avons enregistré 74 décès dus aux piqûres de scorpion. Un chiffre qui est tout de même en baisse par rapport aux années précédentes. On avait enregistré 252 décès en 1986. Aussi, comme l'indiquent les chiffres, 70% des cas de piqûres de scorpion enregistrées se sont produites à l'intérieur même des maisons et non à l'extérieur. C'est à l'intérieur de la maison que le scorpion trouve les conditions favorables pour s'y introduire (saletés, murs non cimentés, portes ouvertes ou entrouvertes…). Autre problème : la conjonctivite. Il faut savoir qu'elle ne vient pas seulement de l'eau de mer contaminée. Les gens oublient que le sable sale d'une plage peut entraîner cette maladie. On peut l'attraper aussi dans une piscine où on met beaucoup de chlore pour la désinfecter, et cela provoque des irritations aux yeux, ainsi qu'avec l'usage de la même serviette. Par ailleurs, je profite de cette occasion pour lancer un appel à tous les citoyens de ne pas trop s'exposer à la chaleur, encore moins de se jeter dans l'eau de mer après s'être longtemps exposés au soleil. Le chaud et le froid peuvent entraîner des accidents graves. Il faut absolument interdire aux enfants, aux personnes âgées et à celles qui souffrent de maladies chroniques, asthmes et maladies cardiovasculaires, de sortir quand il fait très chaud à l'extérieur. Je leur demande de boire de l'eau. Beaucoup d'eau. Il faut aussi savoir se protéger contre les rayons du soleil pour éviter les effets cancérigènes. Pour conclure… Pour lutter contre ces maladies et d'autres aussi (celles dues au contact avec les animaux errants…), il faut que tout le monde s'y mette. Le département de la santé n'a pas un pouvoir de police. Il ne peut obliger aucune personne ou un quelconque organisme à agir comme nous le souhaitons. C'est un problème d'intersectorialité. Il faut la collaboration de tous les secteurs avec la santé et qu'ils fassent plus d'efforts dans le cadre de leurs missions et de leurs prérogatives. Le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière ne peut se substituer aux autres. Le comportement individuel est aussi très important : l'hygiène du milieu, l'hygiène du corps, ne pas manger n'importe quoi et n'importe comment, ne pas se mettre n'importe où et n'importe quand… Et le rôle des associations ? Elles commencent à bouger, mais pas au rythme voulu. Elles n'ont pas assez de moyens. L'essentiel est que ces associations peuvent se constituer partie civile.