De nombreux fondements identitaires, donc culturels, sont progressivement, pratiquement de manière irréversible, de plus en plus inconnus, illisibles sinon évanescents pour la grande masse de la jeunesse algérienne. Si l'on reprenait une des définitions de la culture qui est «une totalité complexe faite de normes, d'habitudes, de répertoires d'action et de représentation, acquise par l'homme en tant que membre d'une société», on comprend, pour une part, une série de dérives. Ces dernières ont été régulièrement des marqueurs, plus ou moins violents, plus ou plus nihilistes dans l'histoire du pays, pendant et après la guerre d'indépendance. La décennie rouge, ses 200 000 morts officiels, ses veuves et orphelins, ses régressions religieuses et politiques, a été une illustration d'une des plus grandes tragédies du siècle dernier. Les fêtes du déclenchement de la lutte armée, de l'indépendance, celles qui inscrivent une appartenance cultuelle-culturelle (Aïd, Mouloud, Yennayer) à l'échelle nationale ou régionale ont été sorties des «répertoires d'action» petit à petit. Les fêtes religieuses n'ont de réalité «festive», de solidarité, de joies manifestes qu'à travers l'enrichissement sonore de barons qui sont autorisés à importer des tonnes de pétards et à les vendre au nez et à la barbe des autorités. Ces fêtes détournées d'un sens originel ont généré, avec la complicité active et passive de l'Etat, la culture du «comment contourner la loi», importer des produits prohibés et dangereux, dans des villes fermées des jours et des jours. Surtout la nuit.Les dates symboliques, les historiques morts ou encore vivants, les épopées de véritables héros, l'histoire du mouvement national, de la guerre de libération, de la communauté des destins maghrébins, tous les constituants fédérateurs culturels ont été éradiqués par les pouvoirs successifs. Que savent aujourd'hui les jeunes du 8 Mai 1945, de Aït Ahmed, du groupe des 22, du GPRA, de Ben Bella, de Ben Badis, de Bourguiba ou de Khelifi Ahmed ? Rien. La «famille révolutionnaire», élargie à des alliés qui n'ont pas milité un seul jour pour l'indépendance, a confisqué l'histoire, opéré des tris entre les révolutionnaires «corrects» et les autres accusés de tous les maux, qu'ils soient vivants ou décédés. Le 8 mars dernier, on a lu des poèmes d'Anna Greki. Qui la connaît ? Le 1er Mai qui intègre le monde du travail algérien à l'humanité laborieuse n'est plus qu'un simple congé payé et n'est plus une fête. La responsabilité historique du gouvernement et de son appendice l'UGTA est grave, terrible. La culture est figée dans le pays. La pauvreté unique au monde de l'offre audiovisuelle algérienne est tout simplement une pratique politique qui appauvrit tragiquement les citoyens et les exporte vers d'autres médias et cultures dominantes désormais. Avec Internet, on a tous les programmes de toutes les capitales et des TV étrangères, alors que pas un site ministériel algérien n'a le niveau de celui d'un lycéen japonais ou européen.La décennie rouge a permis d'injecter dans la société des doses massives de rites et rituels culturels et religieux aux antipodes des traditions qui étaient dominantes, ouvertes et décontractées dans le pays durant des siècles. Depuis l'apparition de l'ex-FIS, des cultures étranges, des codes vestimentaires et alimentaires irrationnels, des pratiques funéraires et lors des mariages mystérieux et lugubres ont irrigué le pays. Alors a commencé le combat de coqs sur le thème : «qui est plus religieux que l'autre ?» La surenchère misérable n'a pas cessé à ce jour avec la répétition, à n'importe quelle occasion, d'actes d'allégeance à la ligne d'un parti, pourtant dissous, dont le plus dangereux est la reprise aujourd'hui d'une stigmatisation d'une région du pays largement utilisée par le FIS. A ce jeu dangereux, petitement politicien à courte vue, le seul perdant a été, est le pays tout entier. La culture de l'exclusion prépare un enterrement cinq étoiles à la culture nationale, pour imposer l'exclusion et le monopole culturel meurtrier. A. B.